Dès le début du mois de décembre, si ce n'est même avant, les tops de fin d'années étaient un peu partout bouclés, figés, voués à être la fiche signalétique inamovible d'une année trop dense pour être balayée d'un regard. Sur DCDL, on a fait les choses différemment : notre top n'est pas un abrégé de 2011 mais en est l'ultime exploration. D'où sa forme un peu tortueuse, voire monstrueuse, qui additionne les disques sur des critères parfois logiques mais parfois aussi totalement fumeux. Il ne faut ainsi pas être trop pointilleux en parcourant notre classement, nous n'avons jamais essayé de l'être. Ce classement se veut surtout être une dernière interrogation, ouverte, sur les centaines de disques que nous avons pu écouter l'année dernière. Et l'interrogation, je le pense, peut être plus stimulante qu'un listing trop scolaire.
Notez aussi que nous avons légèrement relifté le site pour cette nouvelle année. Discret et efficace. Et nous ne faisons pas de promesses qu'on ne tiendra pas : il n'est pas certain que nous publiions des articles très souvent. Par contre on vous assure de la qualité. Peu de publications, mais sans superflu. Vous verrez bien ce que ça donnera.
40 Neon Indian : Era ExtrañaJunior Boys : It's All TrueKorallreven : An Album by Korallreven
On commence notre top avec trois albums ensoleillés qui, bien que tout à fait imparfaits, ont réussi à donner de la couleur à notre année. Neon Indian, d'abord, que je me surprends à retrouver ici : j'avais à l'époque suffisamment dézingué Pyschic Chiasms pour ne plus jamais faire attention à ce groupe. Or leur Era Extraña est tout à fait respectable. Mieux, il est même très efficace. On se rend compte que ça n'a plus grand chose de chillwave, d'ailleurs, puisqu'on est dans de la synthpop très classique avec quelques touches noisy. Et mélodiquement, c'est bien au-dessus de ses collègues Washed Out ou Toro Y Moi. Pour Junior Boys pas de surprise, les canadiens livrent encore un disque d'electro-pop magnifique, maintenant bien éloigné de leurs influences tech-house ou nu-disco des débuts. Mineur mais en tous points attachant. Korallreven est pour moi plus une confirmation – j'écoutais The Truest Faith depuis plus d'un an avec un plaisir monumental. Sur album, ce side-project de The Radio Dept ne s'interdit aucun « rendez-vous en terre inconnue », avec une exotica-pop très borderline mais ô combien maligne et réjouissante.
39 Maria Minerva : Cabaret Cixous Peaking Lights : 936
Deux disques de chez Not Not Fun auront cette année fait l'apogée du psychédélisme lo-fi. Peaking Lights, avec 936, offre plein de jolies parties de guitare et de basses dubby. Plus insaisissable, Maria Minerva, influencée par dixit Stereolab et la house music, met le curseur sur la lenteur, la lenteur et les effets brumeux. On peut se fier à cette pochette surréaliste, la jeune Estonienne ne se refuse rien, zéro compromis et 100% bizarrerie.
38 Alessandro Striggio : Mass in 40 Parts
Il est très rare qu'on retrouve dans mes classements des disques à proprement parler « classiques ». D'abord parce que je n'y connais presque rien, ensuite parce qu'il y a quelque chose d'anachronique à citer comme contemporaines des compositions datant de parfois plusieurs siècles. L'interprétation, me dira-t-on, mais qu'est-ce qui fait le plus date, l'interprétation ou l'écriture, sachant que d'interprétations, justement, il y en a le plus souvent des centaines? Voilà la raison pourquoi ici je fais exception : Striggio a beau être de la Renaissance italienne, une partie conséquente de ses partitions n'a été retrouvée qu'il y a quelques années, précédemment perdue dans les tréfonds de la BNF. Cette sortie a donc un statut d'inédit, et c'est l'ensemble vocal anglais I Fagiolini qui restitue cette colossale messe polyphonique pour la première fois. Toutes les pièces jouées y sont luxuriantes, immensément complexes et à la puissance liturgique indiscutable. Les néophytes y verront peut-être un hymne national sans le match de foot qui vient ensuite, mais enfin, ce qu'il se passe ici est tout de même extrêmement fort et poignant.
37 My Jazzy Child : The Drums
Orval Carlos Sibelius : Recovery Tapes
Alexandre Navarro : Loka
Nos copains, qui ne sont pas là que parce qu'ils sont sympas, mais surtout parce qu'ils sont bons. My Jazzy Child, qui n'avait pas sorti de disque solo depuis bien longtemps, nous est revenu en début d'année avec son album le plus musclé, The Drums, direct et chaleureux, subtil et gentiment déjanté. Orval Carlos Sibelius, toujours chez Clapping Music, s'est signalé par un court album de pop hautement toxique, rempli de phrasés africains et de déviances prog en tout genre. Quant à Alexandre Navarro, son nouvel LP est un petit miracle d'electro-ambient au son de guitare bouleversant. On trinque à leur avenir !
36 Bill Wells & Aidan Moffat : Everything's Getting Older King Creosote & Jon Hopkins : Diamond MineAmor De Dias : Street of the Love of Days
Ah, le charme éternel du spleen britannique... Trois exemples cette année et trois collaborations fructueuses. Aidan Moffat et King Creosote, chacun dans leur genre formidables chanteurs, ont trouvé avec Bills Wells et Jon Hopkins des partenaires modèles, injectant finesse d'arrangements et atmosphères délicieuses à des morceaux de vie franchement émouvants. Pour Amor de Dias, c'est le leader de The Clientele, Alasdair MacLean, qui s'acoquine avec la voix des Pipas. Avec des petites touches bossa et une ambiance « coucher de soleil », MacLean renouvelle merveilleusement une formule qui, avec The Clientele, commençait à s'essouffler.
35 Wilco : The Whole Love
The Whole Love est un succès critique et public comme Wilco n'en avait plus connu depuis Yankee Hotel Foxtrot. Pourquoi pas, c'est un disque juvénile et fiévreux, enflammé et décomplexé comme ne l'étaient plus ses prédécesseurs. Mais à mon avis ce disque est un peu surfait, car il gagne en immédiateté ce qu'il perd en subtilité et en beauté discrète. Au demeurant, cela reste un bon album de Wilco, et ça suffit à légitimer sa place dans notre classement.
34 Tom Waits : Bas as MePJ Harvey : Let England ShakeKate Bush : 50 Words for Snow
Des vieux en excellente forme. Tom Waits est le moins aventureux du trio, mais son Bad as Me est d'une puissance implacable. PJ Harvey s'adoucit avec le temps, à peine : moins d'électricité et plus d'arrangements déroutants, ce qui rend Let England Shake beau et intrigant sans renoncer totalement à la verve de ses aînés. Pour Kate Bush, son souhait de rendre sa musique plus économique se poursuit et franchit encore un cap. Maintenant nous pouvons le dire : elle est devenue l'égale féminine de Mark Hollis.
33 Fen : EpochWolves in the Throne Room : Celestial Lineage
Parmi les tendances lourdes du black metal, la nouvelle domination de groupes affiliés « atmospheric », « depressive » ou encore « blackgaze », soient trois étiquettes qui, toutes à leur manière, tendent à édulcorer le black metal, en le ralentissant, en le rendant plus mélodique, plus « actuel ». Des tonnes d'albums sont ainsi sorties cette année à proposer des expériences black émouvantes, à fleur de peau, planantes, tirant toutes vers un référentiel emo-black efficace mais peu engageant à long-terme. Deux exceptions : Fen, groupe anglais très orienté shoegaze sans céder aux sirènes de la vulgarisation, et Wolves in the Throne Room, qui, par l'ambition de ses compositions, se démarque très franchement du ramollissement général.
32 Nicolas Jaar : Space is Only Noise
Jeune prodige à l'instar de James Blake, Nicolas Jaar aura proposé une entrée en matière plus discrète et nettement plus prometteuse que son compère. Sorte de trip-hop futuriste, Space is Only Noise est un album convaincant, enivrant, qui déploie en son sein des gestes de producteurs assez stupéfiants. Il manque juste un peu de coffre à cet album pour espérer plus que de sincères encouragements. Space is Only Noise reste encore un peu court en bouche.
31 Theo Parrish : UgetTiger & Woods : Through The Green
Du groove disco en veux-tu en voilà. Réunion des « ugly edits » qu'a sorti Theo Parrish depuis 2002, Uget est une immense piste de danse où les boucles funk, soul et disco se répètent jusqu'à l'horreur et la folie. Plus concis et plus vitaminé, Through The Green est un autre indispensable de soirée, aux progressions disco-house irrésistibles. On aurait pu aussi citer Parallel Dance Ensemble ou Ilija Rudman qui ont aussi bien fait bouger mes fesses cette année.
30 Grouper : A | A (Alien Observer | Dream Loss)
Le projet de Liz Harris continue de nous emporter, trois ans après le génial Dragging A Dead Deer Up A Hill. Toujours à mi-chemin entre ambient aride et dream-pop, Grouper s'étale cette fois sur deux LP, laissant le mystère infuser encore plus longuement. Sobre et majestueux.
29 Maceo Plex : Life IndexFrivolous : MeteorologyRick Wilhite : Analog Aquarium
2011 aura été pour la house une grande année de diversité. Outre la frange deep européenne qui continue son bout de chemin sans moi (Moomin, Cavalier), nous aurons connu quelques belles galettes aussi variées que séduisantes. Maceo Plex, par exemple, que l'on connaissait dans un registre plus technoïde en tant que Maetrik, a sorti avec Life Index l'album le plus brutalement dansant de l'année. Rythmiques pachydermes, basses disco particulièrement vicieuses, culture soulful maîtrisée jusqu'au bout des doigts, tout concorde pour rendre l'objet efficace de bout en bout. Meteorology, quant à lui, est un peu l'équivalent musical de Forgetting Sarah Marshall : déprime post-rupture sous un soleil tropical. Frivolous sort tout l'attirail de la tech-house ibizienne chaude et hédoniste pour produire un album d'une nostalgie infinie, sorte de micro-house rigolote et sautillante à la tristesse assez incongrue. Rick Wilhite porte pour sa part très fièrement les couleurs de la house américaine. Brouillonne et répétitive, sa house est aussi la plus possédée de toutes, avec un groove convulsif à rendre dingue n'importe quel danseur un tantinet sensible.
28 Cass McCombs : Wit's EndCass McCombs : Humor Risk
Dur de dire où Cass McCombs en est : Wit's End est aussi beau et réfléchi qu'Humor Risk est efficace et crétin. On note quand même une volonté de rallonger les morceaux tout en les rendant plus minimalistes en arrangements. Pour le meilleur comme pour le pire, puisque ces deux disques contiennent les meilleurs morceaux du Californien comme ses plus mauvais. Une chose est sûre : Cass McCombs est en train de devenir un songwriter difforme, et ça interpelle forcément.
27 Liturgy : AesthethicaTombs : Path of TotalityKrallice : Diotima
Deuxième tendance forte du black metal, outre la généralisation de l'emo-black occidentalisé, l'urbanisation du black-metal. Plus besoin de vivre dans une cabane ou de s'inspirer de paysages naturels, le black est aussi devenu une musique des villes. Trois grands disques le prouvent cette année, et tous viennent de New-York. Liturgy, dont on aura parlé toute l'année. Oui leur leader est détestable, mais bon sang, quelle drôle de proposition musicale : du Swans version black. Et s'appeler Hunter Hunt Hendrix mérite dans tous les cas un applaudissement. Tombs n'est pas à proprement dit un groupe black, puisque plutôt issu du giron Neurosis. N'empêche, sur leur troisième album, le black rôde un peu partout, et à bon escient. Sludge coup de poing, accélérations dévastatrices, Path of Totality impressionne par sa maîtrise, et du coup son côté hybride ne choque personne. Pas de questions à se poser en revanche concernant Krallice : il s'agit bien de black, du pur et dur. Plus une confirmation qu'une révélation puisqu'on les connaît maintenant depuis deux chef d'œuvres, Krallice fait dans le virtuose – longues compositions à tiroir ultra cohérentes, technique monstrueuse, musicalité à toute épreuve. Tout ce qu'on peut aimer dans le black, donc, si l'on fait l'effort de se plonger dans ce bloc effrayant de 80 minutes.
26 BJNMN : Black SquareBNJMN : Plastic WorldMilyoo : Archeology
« Abstract dance », une expression qui colle assez bien aux sorties de BNJMN et Milyoo, entre IDM, house et bass music. Parfois très limpide et à d'autres moments carrément surréalistes, la musique des deux jeunes producteurs est en tout cas rafraîchissante, et capable d'atteindre des sommets exceptionnels lorsqu'elle est bien lunée. Des objets assez fascinants, même si on ne sait pas bien toujours quoi en foutre.
25 Kurt Vile : Smoke Ring For My HaloReal Estate : DaysAtlas Sound : Parallax
Dans la constellation pop-folk lo-fi, encore des disques magnifiques cette année. Kurt Vile, plus précis et évident que jamais dans ses ruminations de Neil Young et Dylan. Real Estate, qui malgré une voix franchement fadasse, continue de dérouler des tapis de guitare enchanteurs. Et Atlas Sound, qui délaisse les expérimentations électroniques pour mieux frapper en plein cœur – Parallax est aussi inégal que déchirant, et Bradford Cox plus ouvert et sensible que jamais.
24 Verneri Pohjola : AuroraMatthew Halsall : On the GoPeter Evans Quintet : Ghosts
Quelques disques jazz à avoir trusté mon iPod en 2011. Verneri Pohjola, d'abord, dont le premier album est le plus ample et le plus accessible que j'ai vu arriver de Scandinavie depuis la grande époque d'Esbjorn Svensson. Un miracle de jazz moderne et lumineux. L'univers de Matthew Halsall est très différent pour ce jeune trompettiste de 28 ans à jamais orphelin du Miles Davis d'Ascenseur pour l’Echafaud. On The Go est un disque assez conservateur, mais au classicisme si bien exécuté que ça marche à 100%. Peter Evans, lui, est plus connu dans les sphères expérimentales du jazz. De manière étonnante, la dernière sortie de son quintet se présente comme très abordable, du free qui ne se refuse même pas quelques balades langoureuses. Aventurier sans être vraiment subversif, Ghosts est un grand et beau disque à cheval entre improvisations galopantes et académisme précieux.
23 Tape : RevelationesThe Sea and Cake : The Moonlight Butterfly
Deux groupes qui, de près ou de loin, ont quelque chose à voir avec le post-rock. The Sea and Cake pour des raisons généalogiques, puisque le groupe vétéran de Thrill Jockey a des liens de sang avec Gastr Del Sol, Tortoise, et que ses influences ont plus généralement tout en commun avec le post-rock première vague. Éternels outsiders un peu trop tôt mis au placard, les Chicagoans m'ont avec The Moonlight Butterfly littéralement bluffés : leur indie-pop teinté de krautock est d'une fraîcheur et d'une sensibilité rare, qui ne fait en aucun cas regretter leurs inspirations jazz aujourd'hui mises de côté. Tape est pour sa part un groupe post-rock un peu plus authentique, développant de grandes fresques instrumentales planantes et minimalistes. Revelationes est leur énième disque, qui n'est pas réussi de bout en bout, mais possède tout de même quelques uns des morceaux les plus crève-coeur que j'ai entendu cette année.
22 Desolate : The Invisible InsurrectionBalam Acab : Wander / WonderShlohmo : Bad Vibes
Dans les multiples fuites en avant du dubstep, en voici les exemples les plus mélancoliques. Desolate, nouveau projet du dj house et pianiste néo-classique Sven Weisemann, est un croisement de Burial et de Max Richter. Un disque parfait, même s'il ne change pas la face du monde. Balam Acab a connu une médiatisation vachement plus cajoleuse, grâce notamment à ses proximités avec les scènes « screw » et « witch house ». Un cocktail hype et pourtant indéniablement réussi. Shlohmo, lui, ressuscite le folktronica à la sauce dubstep. Un choix de carrière assez inattendu, loin d'être inintéressan, et mille fois plus réussi que les bêtises de Bibio.
21 Vektor : Outer IsolationUlcerate : The Destroyers of All
Parmi les qualificatifs qui permettent de définir les différents types de metal, l'adjectif « technical » est sans doute le plus fou. « Atmopheric », « melodic », « brutal », on comprend bien ; « progressive », c'est un choix esthétique qui est historiquement raisonné ; mais « technical », quel drôle d'appellation – comme si c'était un projet en soi que de faire une musique « technique ». En tout cas, deux groupes dits technical m'ont bien fait tripper cette année, issus en plus en deux disciplines dont on parle peu sur DCDL : le trash et le death. Le trash, c'est pour moi une épreuve, avec Vektor, ça devient très fun. La démesure technique au service d'un délire futuriste quasi loufoque. Outer Isolation est une sorte de série B musicale irréprochable sur tous les plans. Après, on adhère ou pas. Ulcerate est un peu différent en cela qu'il prend plus à parti, affectivement parlant. On est pas dans l'imagerie gratuite souvent à l'œuvre dans le death – gore facile et violence comme hygiène de vie. Ulcerate est un groupe aussi technique que tourmenté, qui fonctionne sur un faux rythme où s'enregistre toute la tristesse du groupe : d'un côté une batterie hyper rapide et violente, à la mécanique quasi industrielle, de l'autre un riffing majoritairement lent, plombé et résigné. Très dense, opaque et linéaire, The Destroyers of All est noir, exigeant et diablement prenant.