C’est Faridah qui accueille le public en bas des marches, du moins son double mécanique. C’est que l’artiste a beaucoup cloné les corps des femmes dont il a partagé la vie. La nef centrale est en effet consacrée massivement à la mémoire du défilé du Bicentenaire de la révolution française dont Jean-Paul GOUDE a été le grand ordonnateur.La locomotive en était la pièce maitresse. Même de près elle semble authentique alors que c’est une reproduction. Elle était ce soir-là en mouvement grâce à un tracteur dissimulé dans sa carcasse et les roues tournaient, mais dans le vide.
Jack Lang, alors ministre de la culture du Président François Mitterrand, avait songé d’abord à Jean-Michel Jarre, puis à Robert Hossein mais son choix s’était finalement porté sur Goude dans la perspective d’obtenir une proposition différente de ce qui se pratique dans ce genre de commémoration. La bonne idée !


Jean-Paul Goude a parcouru le monde entier un an durant pour débusquer des formes d’art minoritaires. Il a rempli les pages de plusieurs carnets de croquis et de notes dont quelques exemplaires sont reproduits en grand format. Il a notamment découvert le Ballet Berioska où les danseuses apprennent à faire de si petits pas qu’on a l’impression qu’elles sont chaussées de patins à glace. On croit alors voir des patineuses. L’une d’elles apparaît soudain, se livrant à la démonstration de son art. Les visiteurs médusés sortent leurs appareils photos et la suivent fascinés.
En faisant défiler ceux que l’on ne voit jamais Jean-Paul Goude a réussi à offrir une fête de la diversité et de la mixité comme il en rêvait. Un défilé haut en couleurs et en musiques.
O
n comprend la fascination que le jeune Jean-Paul va conserver toute sa vie pour les animaux sauvages. Il est impressionné également par les sculptures du Musée des colonies (dont les collections sont désormais au musée du quai Branly) qui se trouve alors Porte dorée. Les vénus noires de certains bas-reliefs vont le marquer définitivement.
Ses jeux d’enfant sont davantage orientés vers les indiens que vers les cow-boys comme en attestent les dessins qu’il faisait tout petit. Quant à l’univers des comédies musicales américaines dont quelques extraits sont projetés sur les rochers miniatures on devine leur influence.Il poursuit son adulescence, comme on dit aujourd’hui, en sortant sort beaucoup, se rendant à des soirées, des spectacles et des fêtes. Il commence le cursus de l’école des arts décoratifs. C’est alors qu’il apprend réellement à dessiner. Sa mère a ouvert un cours de danse, dans la petite ville de Saint-Mandé où la famille habite toujours et il est probable qu’il aurait suivi cette voie professionnelle s’il avait eu un physique adéquat.
Brummel, qui est la véritable enseigne du Printemps Hommes, lui commande en 1964 une fresque pour rajeunir l’image de la maison. Il croquera la jeunesse dorée de l’époque sur un panneau dit « Fresque des Minets ». Son trait de crayon est alerte. Ses dessins à l’encre de Chine sont fins mais encore sages, comparativement à ce qu’il fera plus tard.
Dès 1969 il est repéré par le directeur d’Esquire, un magazine pour hommes dont il va faire les couvertures. L’une d’elles le rendra célèbre pour avoir osé représenter Andy Warhol trempant dans un bol de la fameuse soupe de tomate Campbell qu’il avait immortalisé version pop art.Jean-Paul Goude travaille déjà sur ce qui sera plus tard les tribus urbaines. Il tombe amoureux de RadiahFrye, un mannequin assez grand et mince. Il deviendra le beau-père de sa fille, Mia Frye, devenue depuis chorégraphe. Radiah est grande et mince. Il la théâtralise en lui faisant porter une robe couleur chocolat, en la chaussant sur des plateformes-shoes et en la coiffant à l’africaine, ce qui va la grandir de 30 cm. Grâce à ces stratagèmes elle assume pleinement son apparence et on ne voit qu’elle dans les soirées. Il met au point les prémices de ce qui sera désigné sous le terme de French Correction. L’homme ne cherche pas à effacer les particularités mais à les magnifier. Il pourra par exemple aller jusqu’à photographier Radiah avec de fausses scarifications sur le visage en jouant avec l’image puisqu’il ne fait pas de doute que ce sont des décalcomanies.

Une vitrine dévoile quelques-uns des artifices auxquels il eut recours, aussi bien pour cette femme que pour s’élever lui-même. Ce sont ses propres chaussures qu’il a découpées pour monter les talonnettes intérieures. Il avoue qu’il ne quittait jamais ses baskets, y compris pour se baigner. Il recommande par exemple de porter le pantalon taille haute pour donner l’impression que l’on a de longues jambes.
Grace Jones sera sa nouvelle égérie. Elle est alors chanteuse de cabaret. Il lui trouve une séduction folle tout en la jugeant grotesque.
Paradoxalement c’est en l’habillant en homme qu’elle révèlera sa féminité. Il accentue les angles de son visage en découpant la photo de ses pommettes avec une paire de ciseaux. Elle évoque désormais un masque africain.
Il concevra ses costumes de scène en explorant cette voie géométrique. On peut voir dans la niche du fond de la nef la robe de grossesse qu’il a dessinée pour envelopper ses formes … et son futur fils Paulo.


Il ne pouvait s’empêcher de transformer ses compagnes en statues, ce qui d’ailleurs lui vaut le surnom de Goudemalion par Edgar Morin. Toutes les femmes ne le supportèrent pas. Lorsque Tooki découvrit son corps en modèles réduits d’une trentaine de centimètres de hauteur, découpée et modifiée, avec une exagération de ses particularités, elle s’estima dégradée. La blessure précipita la rupture. Leur relation conflictuelle est en quelque sorte exhumée dans la dernière salle autour de son corps moulé à l’échelle 1 avec une précision d’orfèvre.

Il est séparé de Grace Jones quand il rencontre aux Bains-Douches Faridah Khelfa, une mannequin qui travaille la nuit comme physionomiste. Elle sera la valseuse du Bicentenaire. Très talentueuse, elle est aussi comédienne. Elle inspira les créateurs Azzedine Alaïa et Jean-Paul Gaultier, dont elle restera collaboratrice et directrice du studio couture jusqu'en 2004.








" Goudemalion "Jean Paul Goude, une rétrospective au Musée des arts décoratifs, du 11 novembre 2011 au 18 mars 2012107 rue de Rivoli
75001 Paris
Tél. : 01 44 55 57 50
www.lesartsdecoratifs.fr
Heures d’ouverture du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne: jeudi de 18h à 21h, fermé le lundi
Accès gratuit pour les moins de 26 ans.
