Les étudiants québécois sont en grève depuis plus de trois mois, luttant contre une hausse des frais de scolarité que le gouvernement du Québec veut leur imposer.
Perrine Leblanc, écrivaine québécoise, a fait paraître au journal Le Monde un article qui ne laisse pas indifférent: "Nuits blanches à Montréal"
Beaucoup d'articles ont paru dans Le Monde ces dernières semaines et qui portent sur cette grève. Mais celui de Perrine Leblanc sort des sentiers battus, et présente, au-delà de l'information, un témoignage émouvant. C'est un cri de l'intérieur, celui d'une femme qui s'est laissée touchée par ce qu'il convient maintenant de nommer un mouvement social québécois de grande importance. Mais un cri qui est très respectueux de cette démarche des étudiants québécois. Je dis "cri" parce que je souhaiterais que son message soit entendu, qu'il soit crié. Mais je ne crois pas que son message puisse être entendu par tous, alors que je le souhaiterais. En fait son "cri" est un appel lucide, qui vient du coeur et de la raison, lancé à quiconque veut savoir, ou à chacun qui ne se sent pas concerné, ou à tous ceux qui dorment sur leur petit bien-être individuel, à tous ceux-là qui prétendraient que cet "événement-grève-mouvement-social" est sans importance. Un avenir est en jeu, celui des jeunes bien sûr, mais plus largement celui d'un Québec social mobilisé civiquement qui naît; oui, celui d'un avenir qui va au delà de la "question nationale" au Québec.
Perrine Leblanc se dit de nature prudente; elle n'aime pas la confrontation, elle a demandé au temps du temps pour organiser son témoignage, sa pensée. Du temps, elle en eu puisque ce conflit pourrit depuis maintenant plus de trois mois. Elle a pris le temps de voir, de comprendre, d'analyser. Pour elle, " le Québec vient de perdre son image tranquille. L'Etat, par sa réponse brutale à la colère d'une génération qu'on disait perdue, "sans nom", une génération mésestimée et accusée du crime d'individualisme, est responsable de l'entrée en fiction du Québec ". Elle est écrivaine, et écrit bien (Kolia, chez Gallimard). Comme plusieurs de mes amis québécois qui m'écrivent et le soulignent, Perrine Leblanc a remarqué à quel point cette jeunesse en grève s'exprime bien, et énonce clairement ses revendications: " Ils s'expriment en maniant un français vivant et coloré, plus riche que celui de l'élite politique locale, qui préfère la langue des affaires et la ligne du parti ". " La voix des étudiants porte et nous sommes maintenant des centaines de milliers à être de tout coeur avec eux ". Et ils sont nombreux maintenant, ces québécois à l'écoute des étudiants, à partager la colère des grévistes, et à marcher avec eux. Celle qui se dit prudente a aussi marché le 22 mars, le 22 avril et le 22 mai.
Où cela les mènera-t-il?
La réponse du gouvernement, la plus récente, a été de voter une loi "78" (avec les moyens répressifs qu'on imagine) pour forcer le retour des étudiants; mal lui en a pris, les gens se sont retrouvés à 250,000 dans la rue pour accompagner les étudiants, braver la loi, et "l'enfreindre" tous ensemble.
Perrine Leblanc se demande... " Je me demande si nous n'assistons pas là à la naissance d'un Québec nouveau".
Charlac, lorsque je lui ai envoyé copie de l'article de Perrine Leblanc, paru dans Le Monde, m'a écrit: "Le texte de Perrine est touchant. C'est magique ce qui se passe ici, aussi incroyablement terrible que hautement stimulant. Les gens sortent massivement dans les rues, pour la première fois depuis que je peux me rappeler de ce genre de choses. On n'a jamais autant parlé de politique dans la rue, dans les chaumières, au travail. Que ce soit pour ou contre, on n'en a jamais autant parlé. Les médias sociaux deviennent une arme de plus en plus dangereuse. On se reconnaît, on se solidarise, on argumente... Et les scandales se suivent et se ressemblent, les mobilisés ne sont pas dupes, les aliénés se retranchent dans leur droit individuel à l'ignorance. C'est terrible. Et beau. C'est effectivement une révolution en germe...
On n'en parle pas qu'en France. En Finlande (j'ai publié quelques articles sur le mur d'Anneli qu'un ami Finlandais m'a refilé sur Facebook), à New-York, au Brésil, même en Asie, on a l'impression que le monde nous regarde et s'inspire de nous! Même Anonymous est avec nous: ils ont piratés de nombreux sites gouvermentaux en représaille à la loi 78 et à la répression policière.
Et maintenant, le Canada s'inspire de ce qui se passe ici! Ceux qui opposent Harper dans le ROC partage énormément ce qui se fait ici et ils ont même commencé à faire des casserolades (manif de casseroles) le soir, comme on en fait depuis une semaine un peu partout au Québec, chaque soir à 20h, plein de gens, des voisins qui ne s'étaient peut-être jamais parlé, sortent dans la rue et tapent sur leur batterie de cuisine, échangeant un sourire un peu gêné ou même quelques phrases sur ce qui se passe.
C'était mon anniversaire hier. En fait, avec ce qui se passe au Québec, j'ai reçu le plus beau cadeau de fête de ma vie. Je ne croyais pas que ce fût possible ici, où tout le monde semblait si endormi... Je continue de m'impliquer dans Option nationale, je suis sur l'exécutif de Taschereau et notre candidate, tu sais qui c'est: Catherine Dorion, celle qui nous émeut tant. Jamais j'aurais cru pouvoir voter pour quelqu'un de cette qualité". Charl
Mais il n'y a pas que contre Harper, ou que contre Charest, que les "casseroles" se font entendre...
Un autre témoignage d'un écrivain québécois, Jean Barbe, paru également dans Le Monde, dénonce l'attitude du gouvernement Charest qui parle "d'enfants rois" en grève (pour ma part, je vois la chose ainsi: Charest est complètement dans les patates; tout simplement, il n'a pas "senti" le mouvement social que cette revendication - refus de la hausse des frais de scolarité - a fait émerger); il rappelle que 250,000 personnes - pas que des étudiants bien sûr - qui manifestent dans la rue est au Québec une réalité d'une ampleur historique; il souligne que "la question nationale" si chère au Québécois n'est pas le seul ferment social au Québec et que la "colère" est maintenant implantée dans bien des coeurs québécois.
Ce soir, 31 mai, Le Devoir titre: