Une conférence de presse repoussée d'une semaine, une sélection annoncée finalement incomplète (le 3e film français et les films d'ouverture et de clôture du festival ne seront révélés que dans les prochains jours) et légèrement resserrée (20 films concourrons pour la Palme contre 22 en 2007)... Le chemin vers Cannes 2008 s'avère donc dès plus tortueux. Faut-il voir là un indice d'une édition peut-être moins exhaltante que, par exemple, l'année dernière ? Peut-être mais peut-être pas. Thierry Frémaux l'a dit, ce festival 2008 annonce un nouveau cycle. En clair, de nouveaux cinéastes vont venir se faire une réputation sur la Croisette et nous, nous l'annonçons déjà, rien ne serait étonnant à ce que la Palme soit accordée à un "newcomer". Ci après, un état des lieux de ce que Cannes nous promet cette année. Et l'on remarquera que, bien sûr, Cannes sera encore alléchant.
Le Jury.
Avec Sean Penn, Cannes s'est offert un président particulièrement lié à l'image de Cannes. A la fois star du cinéma mondial, figure mondaine (il a été le mari de Madonna), mais aussi chien fou, esprit libre et contestataire, Sean Penn correspond à une idée de Cannes : une exigence intellectuelle, artistique et populaire.
Autour de lui, les membres du jury sont tous des personnalités du cinéma mondial. Acteurs (Sergio Castellito, Natalie Portman, Alexandra Maria Lara) ou réalisateurs (Arichatpong Weerasethakul, Alfonso Cuaron, Rachid Bouchareb), ils ont sans doute une idée de cinéma différente de celles de certains écrivains ou intellectuels qui ont pu se retrouver lors des précédentes éditions parmi les membres du jury. Le cinéma aux gens de cinéma, le festival se replie un peu sur lui-même et nous pensons que c'est une bonne chose.
Impression a tempérer : quelques autres personnalités devraient rejoindre dans les prochains jours le jury cannois...
Les films en compétition officielle.
1. Les américains
C'est évidemment du côté des américains que se trouvent les projets les plus exitants. Pourquoi "évidemment" ? Parce que toute l'année le monde du cinéma ne parle guère que des projets hollywoodiens et de fait, certains étaient annoncés depuis longtemps...
40 ans après mai 68, un vent de révolution a soufflé sur Cannes. Certains films de la sélection de 68 seront projetés dans le cadre de Cannes Classics mais la révolution il en sera également question dans la course à la Palme d'Or... L'ambitieuse biographie de Che Guevara par Steven Soderbergh étaient prévue pour être un diptyque (Che + The Argentine). Les deux films sont réunis en un seul, pour une projection de 4H (!) qui sera le gros morceau de cette compétition. Palme d'Or en 1989 pour Sexe, mensonge et vidéo, Soderbergh montera les marches avec le film le plus attendu... de la compétition.
Clint Eastwood fait son retour sur la Croisette avec L'Echange, une sombre histoire de kidnapping. Caution glamour d'un film qui ne le sera probablement pas, Angelina Jolie ne promenera peut-être pas ses formes le tapis rouge... Elle est enceinte et proche de l'accouchement... Un Clint Eastwood, en soi, c'est de toutes les façons forcément un évènement.
Scénariste culte et fou de Dans la peau de John Malkovich ou encore Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Charlie Kaufman sera peut-être l'attraction de cette année. Pour ses débuts de cinéaste, il présentera Synecdoche New York dans lequel un directeur de théâtre se croyant mourant (Philip Seymour Hoffman) tentera de recréer la ville de New-York, à dimensions exactes, dans un entrepôt ! Au casting, une belle brochette d'actrices : Catherine Keener, Michelle Williams, Samantha Morton et Tilda Swinton.
2. Les Français
Les années passent et Pialat, palmé en 87, ne trouve pas son successeur. Trois cinéastes français concourrons cette année pour cette succession. A ce jour, on en connait seulement deux, le troisième film devant être annoncé dans les prochains jours.
Avec La Frontière de l'aube, Philippe Garrel, cinéaste soixante-huitard s'il en est, aura enfin droit à la reconnaissance qu'il mérite (car oui, une sélection cannoise est un honneur). Le film devrait coïncider avec une certaine ambiance typiquement cannoise. La Frontière de l'aube raconte en effet l'histoire d'une star de cinéma soudainement éprise d'un photographe pendant que son mari cabotine à Hollywood. Louis Garrel, fils du cinéaste, remontera les marches un an après l'accueil tiède réservé aux Chansons d'amour de Christophe Honoré.
Déjà en compétition en 2000 avec Esther Kahn, Arnaud Despléchin aura lui aussi droit à une seconde chance avec Un conte de Noël, film chorale dans lequel on retrouvera une bonne partie des acteurs de son dernier film Rois et reine : Catherine Deneuve, Mathieu Amalric et Emmanuelle Devos
3. Les habitués.
Cette 61 sélection fait la part belle aux nouvelles signatures du cinéma mondiale mais Cannes s'est quand même autorisé à sélectionner quelques cinéastes habitués au folklore cannois. Déjà deux fois palmés, les frères Dardenne espèrerons être les premiers à faire la passe de trois avec Le Silence de Lorna. Artha Dobroshi, dernière trouvaille des cinéastes, pourraient être la révélation de cette quinzaine.
Autres habitués, le turque Nuri Bilge Ceylan qui après Les Climats, concourra avec Les Trois singes. Paolo Sorrentino, réalisateur du très extraverti Ami de la famille, revient lui avec Il Divo, film politique qui dressera le portrait d'un député italien despotique et lié de près à la Cosa Nostra.
Régulièrement sélectionné et plusieurs fois primés (la palme en 84 pour Paris, Texas ; le prix de la mise en scène en 87 pour Les Ailes du désir), Wim Wenders avec The Palermo Shooting essayera encore de renouer avec une grandeur peut-être déjà passée.
Enfin, le canadien Atom Egoyan, révélé par Cannes avec Exotica en 94, montera les marches pour la quatrième fois (après, aussi, Le Voyage de Felicia, Ararat et La Vérité Nue), avec le thriller technologique Adoration.
4. Les grandes figures du cinéma mondial
Ils ont gagnés les plus grands prix dans les autres plus grands festival internationaux (Berlin, Venise) et prétenderons à autant de réussite sur la Croisette. Le chinois Jia Zhang Ke, Lion d'or à Venise en 2006 pour Still Life, était déjà venu à Cannes avec Plaisirs Inconnus. A quelque mois des Jeux Olympiques et alors que l'on parle beaucoup de Pékin, son regard sans concession de la société chinoise (24 City) pourrait bien provoquer un assez large débat...
Walter Salles et Daniela Thomas ont eux remportés l'Ours d'Or à Berlin en 1998 avec Central do Brasil. Ils viennent maintenant à Cannes avec Linha de passe. Walter Salles était déjà venu à Cannes pour présenter son Voyage à motocyclette en 2004. Le cinéma brésilien est en forme. Rappelons entre autres l'Ours d'Or décerné cette année à Tropa de Elite de José Padilha.
4. Confirmations attendues
Le grand public les connais peu mais ces cinéastes ont déjà fait parlé d'eux et notamment à Cannes. Brillante Mendoza, chef de file d'un cinéma philippin en plein renouveau, est le réalisateur de John John, actuellement à l'affiche en salle et présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2007. Il est cette fois en compétition pour la Palme avec Serbis.
Egalement passé par la Quinzaine (en 2005 avec le bouleversant Be With me), Eric Khoo représentera Singapour avec My Magic.
Enfin Lucrecia Martel, jeune cinéaste argentine de La Cienaga, revient elle pour la deuxième fois en compétition après avoir présenté La Nina Santa en 2004. Pablo Trapero représente lui aussi la nouvelle vague du cinéma argentin. L'auteur de l'excellent Voyage en famille (2004) découvrira Cannes avec Leonera.
5. Ceux que nous allons découvrir
Avec eux on part dans l'inconnu. Une sélection cannoise est normalement gage d'un certain talent et nous serons donc attentifs à leurs débuts dans la cour des grands.
Un an après Persepolis, un nouveau brûlot politique et animé s'invite en compétion, Waltz with Bashir. Comme Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Ari Folman signe là son premier film.
Matteo Garrone n'est lui pas le premier venu. Le cinéaste italien, acteur dans Le Caïman de Moretti, et réalisateur de Les Hôtes (1998), L'Etrange Monsieur Pepino (2001) et Premier amour (2004), n'est pas non plus le cinéaste le plus réputé de ce 61 festival. Il faudra le suivre.
Un an après Bela Tarr, la Hongrie est de nouveau représentée mais à travers un film d'un cinéaste de la nouvelle génération. Kornel Mundruczo est encore méconnu et participe grâce à Cannes à son premier grand festival. Pleasant Day, sont second long-métrage, avait reçu le Léopard d'argent à Locarno en 2002.
6. Hors-Compétition
Cannes va vibrer, c'est absolument certain, par la seule apparition de l'homme au lasso. Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal sera présenté le dimanche, quelques jous avant sa sortie nationale, pour le plus grand bonheur des fans impatients qui seront sur la Croisette. Les places vont être très disputées...
Et si Spielberg fait son retour à Cannes, près de 25 ans après E.T, il en est un autre que l'on a pas souvent vu monter les marches du Palais des festivals. Woody Allen et son casting 100% glamour (Scarlett Johanson, Penelope Cruz, Javier Bardem, Rebecca Hall) feront tourner les têtes des festivaliers avec le très attendu Vicky Christina Barcelona.
Le coréen Kim Jee-Woon, cinéaste virtuose de 2 soeurs et A bittersweet Life, présentera lui Le bon, la brute et le cinglé tandis que Kung-fu Panda surf sur le succès de Shrek 2 à Cannes et aura lui aussi l'honneur rare pour un film d'animation d'être présenté dans le grand théâtre Lumière du Palais. Autre curiosité très attendue : le documentaire de Kusturica sur Maradona.
Enfin Abel Ferrara, comme en 2007, aura droit à une séance spéciale avec son Chelsea Hotel. L'année dernière, son Go Go Tales avait été une sacré déception. Autres séances spéciales : Les Cendres du temps, l'extraordinaire film d'arts-martiaux réalisé par Wong Kar-Waï en 1996 et présenté ici dans une nouvelle copie ; mais aussi le nouveau film de Marco Tulio Giordana, réalisateur de la bouleversant fresque Nos Meilleurs années (2003). Revenu à Cannes avec Une fois que tu es né (2005), il montrera cette fois son dernier film Sangue Pazzo, lequel permettra à Monica Bellucci de sourire une fois encore aux photographes à l'affût de la moindre des ses poses en bas des marches.
Un certain regard
Quelques films seront particulièrement surveillés dans cette section. On pense d'abord à Tokyo, film collectif réalisé par Gondry, Carax et Bong Joon-Ho, le réalisateur de The Host.
De Tokyo, il sera également question avec le prolifique Kyoshi Kurosawa (Kaïro, Charisma, Cure, Loft etc.), présent cette année avec Tokyo Sonata.
Thomas Clay avait provoqué le scandale en 2005 avec le tétanisant The Great Ecstasy of Robert Carmichael. Le jeune cinéaste anglais revient cette année avec Soy Cowboy.
Andreas Dresen (Un Eté à Berlin) présentera lui Wolke 9 tandis que deux documentaires totalement contraires l'un à l'autre se mêlerons aux fictions. Il y a d'abord La Vie Moderne de Raymond Depardon mais aussi le film forcément coup de poing de James Toback consacré à l'extravagant boxeur Mike Tyson.
Enfin Bent Hamer, réalisateur méticuleux et génial de Eggs et Kitchen Stories (mais également de Factotum avec Matt Dillon) sera l'homme à suivre avec O'Horten.
Quinzaine des réalisateurs
C'est dans cette section que se font habituellement les plus belles découvertes (l'année dernière, Control d'Anton Corbijn). Parmi tous ces cinéastes que l'on ne connait encore pas, signalons quand même ceux que l'on connait déjà très bien. Il y a d'abord les français que - pour certains - la rumeur à longtemps annoncé en compétition officielle. Bertrand Bonello (Le Pornographe) sera là avec De la guerre ; les frères Larrieu (Peindre ou faire l'amour) avec Le Voyage aux Pyrénnées ; Rabah Hameur-Zaïmeche, prix de la jeunesse 2006 avec Bled Number One, présentera le Dernier Maquis, d'après la complainte de Mandrin. Claire Simon, présente à la Quinzaine 2006 avec Ca Brûle, revient cette année avec Les Bureaux de Dieu.
Les vraies curiosités de cette Quinzaine 2008 nous viendrons probablement de Belgique. Bouli Lanners, acteur récurrent dans les films de Poelvoorde, vu aussi dans J'ai toujours rêvé d'être un gangster, reviens à la réalisation après Ultranova, comédie 100% belge et irrésistible sortie en 2005. On espère un Eldorado du même acabit. Belge également mais nettement moins drôle, Joachim Lafosse nous avait offert en 2007 Nue Propriété (avec Isabelle Huppert) un film extraordinaire d'intensité. Pour la Quinzaine, il montrera Elève libre.
Le réalisateur espagnol Albert Serra, auteur du génial Honor de Cavaliera d'après Cervantes, nous proposera le Chant des Oiseaux ; le très contemplatif cinéaste argentin Lisandro Alonso (Los Muertos, Fantasma) prend cette fois le bateau vers Liverpool, l'italo-albanais Francesco Munzi, auteur du remarquable Saimir en 2006, nous parlera du Reste de la nuit et le vétéran polonais Jerzy Skolimowski nous revient avec Quatre nuits.
Semaine de la critique
La plupart des cinéastes sélectionnés dans cette section nous sont inconnus. Signalons quand même le second film en tant que réalisatrice de l'actrice israélienne Ronit Elkabetz. Après un premier long-métrage très convainquant (Prendre femme), elle nous racontera cette fois Les Septs jours.
Actuellement à l'affiche de nos salles via le très troublant La Zona, le mexicain Rodrigo Pla clôturera la semaine de la critique avec son nouveau film Desierto Ardentro.
Entre temps, nous aurons l'occasion de voir le nouveau film du trio belge Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy. Après l'excellent et très décalé L'Iceberg, ils dançerons pour nous la Rumba.
Enfin Lake Tahoe du mexicain Fernando Eimbcke, lauréat à Berlin du prix Fipresci de la critique internationale, sera proposé aux festivaliers cannois en séance spéciale.
Nous vous donnons maintenant rendez-vous pour un compte rendu quotidien de ce festival. Le festival est moins riche de pointures internationale connue du grand public mais présente un éventail des jeunes talents du cinéma contemporain. Un vent de fraîcheur soufle donc qui nous promet de nombreuses surprises. On vous en parlera alors... soyez fidèles !