La fabuleuse histoire de la cuisine française (suite)
Lorsque le Roy-Citoyen doit en 1848 s’enfuir de Paris, on raconte que son fiacre bourré d’argenterie, ne contient pas même un panier de provisions. Les « quarantes-huitards » pillent caves et garde-mangers des Tuileries, mais lorsqu’ils trouvent des truffes, ils sont intrigués et n’osent y toucher. La restauration, nous l’avons dit, est la grande époque des traiteurs.
Le café du Caveau
Paris. Musée Carnavalet, estampes. Photo. Jean Dubout. Tallandier
Le « Rocher de Cancale », situé rue Montorgueil, est dirigé successivement par Balaine et Borel. Son chef Langlais est, d’après Gouffé, le créateur de la « sole normande ». C’est là que siège le Jury Gourmand de Grimod de la Reynière qui appelle ce haut lieu de la gastronomie : « le Pic de Teneriffe de l’univers gourmand ». C’est là encore que le Caveau donne « ses dîners de Vaudeville » où l’on côtoie Dumas père, Musset, Béranger et tant d’autres. C’est là, enfin qu’après la prise d’Anvers en 1832, le duc d’Orléans offre à ses officiers un repas dont le prix « formidable » court Paris pendant un mois : 80 francs par couvert! Un des serveurs est célèbre pour la trop grande confiance qu’il témoigne à ses clients auxquels il avance le prix de leur repas. Les habitués l’ont surnommé « Saint-Vincent de Sole ». Non loin s’établit un modeste traiteur, Philippe, qui lui aussi se fait une spécialité des huîtres et des poissons. Son cuisinier, Pascal, ex-chef du Jockey-club, devient vite célèbre et bientôt, écrit le baron de Mortemart-Boisse, la plus haute société se rue chez Philippe, vers « sa sale rue et ses bons dîners », guidée par la Princesse Lucie D….. » C’est chez Philippe que se réunissent tous les samedis les douze membres du « Club des grands Estomacs » de six heures du soir au lendemain midi. Ce repas, qui dure dix-huit heures, se décompose en trois actes décrits par l’écrivain gastronome Alfred Delvau. « Premier acte de six heures à minuit : Après quelques verres de vin amer, un potage à la Crécy est servi, puis quelques verres de Madère, ensuite un turbot sauce aux câpres, filet de bœuf, gigot braisé, poularde en caisse, langue de veau au jus, sorbet au Marasquin, poulet rôti, crèmes, tourtes et pâtisseries, arrosés de six bouteilles de vieux bourgogne par convive. Deuxième acte, de minuit à six heures du matin : Une ou plusieurs tasses de thé précédant un potage à la tortue, un Kary indien de six poulets, du saumon aux ciboules, des côtelettes de chevreuil au piment, des filets de sole au coulis de truffes, des artichauts au poivre de Java, de sorbets au rhum, des gélinottes d’Ecosse au Whisky, un pudding au rhum et des pâtisseries anglaises très épicées, le tout arrosé de trois bouteilles de bordeaux par tête. Troisième acte de six heures à midi : Une soupe à l’oignon fortement poivrée, puis des pâtisseries non sucrées avec quatre bouteilles de champagne par convive. Enfin le café et le pousse-café qui consiste en une bouteille entière de rhum, de cognac ou de kirsch ». Chez Philippe, un client fait prévenir chaque mois qu’il viendra le lendemain avec six amis et commande un menu plantureux. Le lendemain, il vient seul et après avoir fait mine d’attendre les commensaux prévus, il mange les six repas préparés à lui seul.
Une table d’hôtes à Paris. On croirait assister à un repas d’enragés..
Caricature anglaise du début du XIX° siècle. Bibliothèque nationale. Paris
Source : La Fabuleuse histoire de la cuisine française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant.Editions O.D.I.L. ( à suivre, le mois prochain..)