La soupe bún thang, sophistiquée aux saveurs délicates, tient une place privilégiée dans le cœur des Hanoiens. Quand on évoque la gastronomie de Hanoi à l’étranger, on pense d’abord à la soupe pho parce que celle-ci a été largement diffusée internationalement. Pourtant, la cuisine du nord regorge bien d’autres trésors, hélas moins connus en dehors du pays. Parmi ceux-ci, la soupe bun thang dont l’origine remonte bien avant la soupe pho, se dégustait au quatrième jour après le nouvel an dans l’ancien temps, avant de devenir un plat populaire, une des spécialités de Hanoi.
Photo prise à Hanoi durant un de mes voyages.
Photo prise à Hanoi durant un de mes voyages.
Que signifie bún thang ? Les bún sont les vermicelles de riz comme ceux utilisés dans les fameux bo bun (bo = bœuf / bun = vermicelles de riz). Thang, originaire de l’ancien chinois (chữ hán), signifie bouillon, soupe. Littéralement, vermicelles de riz au bouillon… Cela montre bien toute l’importance du bouillon dans ce plat. Cette appellation simple cache pourtant une des soupes les plus sophistiquées à réaliser et une des plus raffinées à déguster.
Qu’est-ce le bún thang ? C’est un plat complet à base de bouillon clair de poule (ou de poulet), de poulet effiloché, de coriandre vietnamienne (polygonum, en vietnamien, rau răm), de mortadelle de porc (giò lụa), d’omelette fine, de navets marinés, de shiitaké séchés (champignons parfumés), de coton de crevettes, de vermicelles de riz et selon goût, des œufs durs salés de cane. En réalité, il n’y a pas moins de vingt ingrédients différents. Les critères de qualité de ce plat se mesurent à la saveur et à la limpidité de son bouillon, à la préparation minutieuse de chaque garniture, et à la présentation du plat en forme de fleurs à cinq couleurs (hoa ngũ sắc).
Autrefois, ce plat était réalisé après la fête du Têt (nouvel an vietnamien). En effet, après le troisième jour du Têt où un grand repas d’adieux est servi pour raccompagner les défunts et les ancêtres au ciel, un repas léger à base de soupe était alors très apprécié au quatrième jour du Têt. Pour éviter le gaspillage, les anciens réutilisaient tous les restes des plats du nouvel an, pour garnir leur soupe avec vermicelles de riz. Cela explique pourquoi on retrouve dans ce plat, les ingrédients les plus répandus des plats du Têt dans le nord : du poulet, de la mortadelle, du porc, des crevettes, des navets séchés marinés, des œufs… Mais faire de la récupération ne signifiait pas tout mettre n’importe comment. Les saveurs et l’esthétisme du plat étaient de rigueur. Aujourd’hui, ce plat devenu populaire n’est plus réalisé avec les restes des plats du Têt, a évolué avec le temps en adaptant certains ingrédients d’origine et se déguste tout au long de l’année.
Etal de crevettes, calamars et poissons séchés. Au marché Đồng Xuân, lors de mon voyage à Hanoi.
Le bouillon a une place si primordiale dans ce plat qu’utiliser des cubes de bouillon de volaille serait un sacrilège. Le bouillon est à base de poule ou de poulet entier, d’os de porc, de crevettes et de calamars séchés, d’oignons et de gingembre. Parfois on trouve aussi dans le bouillon, des vers marins séchés (sà súng) très prisés dans la cuisine du nord. Pour obtenir la limpidité recherchée du bouillon, il faut suivre une certaine méthode de cuisson, qui est valable pour toutes les bases de bouillon vietnamien : faire bouillir rapidement une première fois les os, les carcasses ou le poulet entier, rincer à l’eau froide, et remettre les os, carcasses ou poulet nettoyé dans la marmite à l’eau froide pour la deuxième cuisson. Le feu ne doit jamais être fort, pour éviter que les résidus ne troublent le liquide. La cuisson lente permet de libérer toutes les saveurs des os et du poulet. Puis on ajoute les aromates et on assaisonne. Le bouillon naturel est toujours cuit lentement à feu moyen-doux pendant des heures… Au minimum trois heures et au mieux, cinq à six heures. Lorsque le bouillon réduit, il faut rajouter de l’eau bouillante pour conserver la limpidité du liquide.
En dehors du bouillon, la composition des garnitures de la soupe bun thang exige une préparation longue et minutieuse. Chaque ingrédient a son importance. Tout doit être coupé en julienne, en fines lamelles. La soupe bun thang ne serait pas le bun thang s’il n’y avait pas un peu de mắm tôm, pâte de crevettes en saumure fermentées, que l’on rajoute dans le bol de soupe avant de servir. Mais la touche finale reste l’ajout de l’essence de bélostrome ou nèpe aquatique, le cà cuống, d’une pointe de cure-dent trempée dans ce nectar rare et précieux, issu de la phéromone mâle de la nèpe (une sorte de punaise aquatique), très précieuse, hors de prix et introuvable en France. Cette essence à utiliser au compte-goutte, offre un parfum floral puissant très typique que l’on retrouve dans certains plats du nord, comme dans la sauce nuoc mam pour les banh cuôn (raviolis vietnamiens).
Comme souvent pour les soupes vietnamiennes avec pâtes, vermicelles de riz ou nouilles de blé, il existe aussi une variante « sèche » : le bún thang khô (khô = sec). Toutes les garnitures sont présentes dans le bol avec les vermicelles de riz et un bol de bouillon est servi à côté.
Dans la recette que je vous propose ci-après, basée sur la recherche de multiples sources d’information, vous constaterez que chaque élément a sa propre préparation qui demande du temps. Réaliser chez soi une soupe bun thang n’est pas à faire au quotidien mais c’est une plongée culinaire qui en vaut la peine quand on aime découvrir la cuisine vietnamienne.
La recette de la soupe bún thang
Pour 6 à 8 grands bols de soupe
Temps de préparation (long et en plusieurs étapes) : au total 1h30 – Temps de cuisson : 4 à 6 heures
Ingrédients :
Bouillon :
- 1 poule ou poulet fermier (1,2 kg)
- 1 kg d’os de porc
- 2 oignons entiers grillés
- 1 gros morceau de gingembre non pelé, grillé
- 6 petits calamars séchés et grillés
- 100 g de crevettes séchées réhydratées
- 1 litre d’eau de trempage des crevettes séchées
- 8 têtes de champignons parfumés séchés (shiitaké)
- Sel, nuoc mam pur (saumure de poisson pure), sucre candi, poivre
Garniture :
- 3 œufs battus
- 1 cuillère à soupe de vin blanc
- 200 g de gio lua (mortadelle vietnamienne)
- 200 g de radis blanc ou navet en saumure séchés (sous vide, en vente dans les magasins d’alimentation asiatique)
- Ciboule chinoise ou oignon vert
- Rau răm (coriandre vietnamienne / polygonum)
- 200 g de crevettes crues entières + 4 cuillères à soupe de nuoc mam pur + 2 cuillères à soupe de sucre en poudre
Accompagnement :
- Mắm tôm (pâte de crevettes en saumure fermentée – en pot et en vente dans les magasins d’alimentation asiatique)
- 1 citron vert en quartiers (coupé en 8)
- Piment frais
- Rau răm (coriandre vietnamienne / polygonum)
Préparation :
Bouillon :
- Laver les os de porc et la poule (ou le poulet).
- Dans une grande casserole ou marmite d’eau, ébouillanter les os de porc, jeter l’eau de première cuisson et rincer abondamment les os. Remettre les os de porc dans la marmite et remplir de 3 litres d’eau froide. Cuire sur feu fort jusqu’au premier bouillon, puis baisser rapidement à feu moyen-doux, sans couvrir, ajouter 1 cuillère à café de sel et laisser mijoter une heure.
- Peler les oignons, laver le morceau de gingembre. Les faire griller soit directement sur la flamme soit sous gril au four quelques minutes (jusqu’à ce que la peau soit un peu grillée).
- Dans une grande marmite (pouvant contenir 5 litres au minimum) contenant 4 litres d’eau froide, cuire la poule ou le poulet entier. Dès ébullition (compter environ 15 minutes), ajouter les oignons entiers et le morceau de gingembre grillés. Ajouter 2 cuillères à soupe de sel. Réduire à feu moyen-doux (juste de quoi maintenir un léger frémissement du bouillon), et laisser cuire la poule ou le poulet pendant une heure.
- Pendant l’heure de première cuisson du bouillon de poule, laver et faire tremper les crevettes séchées dans 1 litre d’eau bouillante, pendant 30 minutes. Puis filtrer l’eau de trempage pour bouillon. Réserver les crevettes.
- Réhydrater les champignons parfumés séchés (shiitaké) dans un grand bol d’eau tiède.
- Faire griller rapidement les calamars séchés soit au four, soit à la poêle, soit quelques secondes au four à micro-ondes. Ca va sentir fort dans la cuisine !
- Dès que la poule (ou le poulet) est cuite, la/le sortir du bouillon et la/le faire tremper dans l’eau froide. Désosser complètement la poule (ou le poulet), réserver la chair, et remettre la carcasse et les os de cuisse dans le bouillon.
- Filtrer le bouillon d’os de porc. À ce stage, le bouillon aura réduit de moitié, soit il reste 1,5 litre. Verser le bouillon réduit dans le bouillon de poule.
- Ajouter dans le bouillon : calamars séchés grillés, shiitaké, l’eau de trempage des crevettes séchées, quelques morceaux de sucre candi (1 cuillère à soupe) et 3 cuillères à soupe de nuoc mam pur. Laisser réduire durant 2 à 3 heures à feu moyen-doux.
Garniture :
Poule / poulet
- Effilocher la chair de la poule ou du poulet ou trancher finement au couteau. Réserver.
Omelette
- Dans un bol, battre les œufs légèrement et ajouter une cuillère à soupe de vin blanc et une pincée de sel.
- Verser une louche d’œufs battus dans une poêle légèrement huilée et chaude, répartir la quantité d’œufs battus uniformément sur toute la surface de la poêle, et reverser l’excédent dans le bol pour obtenir une omelette fine comme une feuille. Cuire rapidement sur une seule face sans faire dorer l’omelette.
- Renverser l’omelette sur une planche et réaliser la suivante. Laisser refroidir. Enrouler plusieurs couches d’omelettes fines puis trancher très finement de façon à obtenir de très fines lamelles.
Crevettes
- Cuire les crevettes entières pendant 2 à 3 minutes à l’eau bouillante.
- Les plonger dans l’eau froide. Décortiquer, supprimer têtes et queues de crevettes. Piler au mortier pour ne pas casser la fibre et pour obtenir des miettes de crevettes.
- Chauffer un peu d’huile dans une poêle, faire revenir les miettes de crevettes pilées avec 4 cuillères à soupe de nuoc mam pur et 2 cuillère à soupe rase de sucre. Facultatif : verser une cuillère à café d’huile au rocou (pour colorer les crevettes en rouge brique). Laisser refroidir et réserver.
Radis / navet séchés marinés en saumure
- Laver et réhydrater les lamelles de radis séché à l’eau tiède dans un bol pendant 30 minutes. Rincer à l’eau bouillante, égoutter et laisser refroidir avant de les faire mariner avec 1 volume de vinaigre de riz (blanc) et ½ volume de sucre pendant au moins 30 minutes.
Giò lụa (chả lụa) ou mortadelle vietnamienne au porc (en vente dans les magasins d’alimentation asiatique ou à faire soi-même ici)
- Trancher très finement de rondelles puis en fines lamelles (allumettes très fines). Réserver.
Champignons parfumés (shiitaké)
- Sortir les champignons du bouillon, les égoutter puis les trancher finement en lamelles. Réserver.
Rau răm (polygonum ou coriandre vietnamienne) et ciboule chinoise (partie verte)
- Laver, essuyer les feuilles de rau ram et les tiges de ciboules chinoises. Ciseler finement les feuilles de rau ram et la partie verte de la ciboule. Réserver.
Vermicelles de riz (bún)
- Cuire les vermicelles de riz à l’eau bouillante, réduire à feu moyen-vif pendant 8 minutes (ou selon le temps indiqué sur le paquet).
- Rincer à l’eau froide pour arrêter la cuisson et égoutter. Réserver.
Bouillon
- 30 minutes avant de servir, filter le bouillon (pour obtenir un bouillon limpide) et le remettre sur le feu jusqu’à ébullition.
- Goûter, rectifier si nécessaire l’assaisonnement.
Dressage des bols :
- Dans un bol, déposer une portion de vermicelles de riz.
- Parsemer d’un peu de rau ram et de ciboule.
- Déposer une petite portion égale de chaque ingrédient de la garniture (poulet effiloché, mortadelle, champignons parfumés, radis ou navets séchés, lamelles d’omelette, coton de crevettes, ciboulette chinoise, coriandre vietnamienne…).
- Option avec œufs durs salés de cane (déjà prêts à consommer, en vente dans les grands magasins d’alimentation asiatique) à écaler et à couper en deux. Déposer les demi-œufs salés au centre.
- Verser en dernier le bouillon frémissant et ajouter 1/3 de cuillère à café de mắm tôm (pâte de crevettes en saumure fermentées).
- Servir chaud avec en accompagnement dans de petites coupelles, le piment, les quartiers de citrons verts, la coriandre vietnamienne rau răm et un peu de mắm tôm.
Une fois que vous avez goûté à cette merveilleuse soupe bun thang (idéalement, à Hanoi), vous garderez un souvenir impérissable de la richesse de saveurs et de parfums dans ce plat, d’une délicatesse égale à celle des habitants de Hanoi. Bonne découverte !
Deux belles Hanoïennes devant le lac Hoàn Kiêm, Hanoi. Toute la grâce et la délicatesse des femmes de Hanoi. Photo prise durant mon voyage à Hanoi.
Une marchande de Hanoi, photo prise durant un de mes voyages.