Magazine Cinéma

L'Affaire Rachel Singer

Par Vance @Great_Wenceslas

[critique] l'Affaire Rachel Singer : doute &; culpabilité

En adaptant un prometteur film israélien (la Dette, de Bernstein & Rosenblum, distribué en 2007), Matthew Vaughn sortait du cadre des blockbusters de super-héros (Kick-Ass, X-Men le Commencement) pour transposer à l'écran le récit d'un drame humain mâtiné de thriller d'espionnage, dans lequel des êtres tiraillés entre le devoir et la passion sont rongés par les remords, les doutes et les scrupules. Ce que les scénaristes voyaient dans ce récit, et ce qui a été confirmé par les acteurs, c'est davantage le conflit intérieur, les affres de la culpabilité, et les fragilités de la condition humaine dans le cadre d'une mission dépassant par ses implications tout ce qu'ils avaient connu jusque lors.

[critique] l'Affaire Rachel Singer : doute & culpabilité

Impossible de ne pas penser à Munich, cette grande tragédie spielbergienne, lorsqu'on voit évoluer ces agents du Mossad chargés de traquer un bourreau nazi. D'autant que la mise en scène élégante et discrète de John Madden ne se prive pas d'insister sur les relations étranges entre ces trois espions au passé - et aux objectifs - divergents. Dès le départ, avec ce montage divisant le récit entre deux sphères temporelles (1965 : un trio de jeunes agents est convoqué pour capturer et exfiltrer Vogel, le "Chirurgien de Birkenau" repéré à Berlin-Est où il officie comme gynécologue ; Rachel Singer y joue une jeune femme chargée de l'approcher en se faisant passer pour une future parturiente / 1997 : à Tel Aviv, la fille de Rachel Singer lance en grande pompe un livre racontant l'histoire de sa mère, devenue héroïne nationale), on comprend qu'un doute plane. L'ambiance n'est pas au beau fixe entre Rachel et Stephan, son ex-mari et ex-collègue de mission - et c'est là qu'on apprend que David, leur troisième acolyte, vient de se suicider alors qu'il avait disparu de la circulation. Rachel évoque le passé (pourtant prétendument glorieux) avec gêne et paraît extrêmement nerveuse en société : nul doute pour nous, spectateurs, qui assistons à la relecture d'une scène-clef de l'opération à Berlin, qu'un mystère plane sur ce qui est VRAIMENT arrivé 30 ans auparavant en Allemagne de l'Est.

C'est alors que le montage nerveux, méticuleux et sensé cesse au profit d'une narration plus fluide et classique : le gros du métrage va suivre le déroulement de la mission, de l'arrivée de Rachel (dont c'est la première fois sur le terrain) dans la planque du duo d'espions du Mossad jusqu'à la conclusion inédite (car non-officielle) de l'affaire, qui engendrera une véritable crise dans le groupe, et une décision aux conséquences encore insoupçonnées. On passe donc d'Helen Mirren (impeccable, au visage marqué par le doute et une profonde cicatrice) à Jessica Chastain (au remarquable jeu naturel, auréolée d'une grâce qui influe profoindément chacun des êtres qui la côtoient). A leurs côtés, les acteurs font leur job, avec un Sam Worthington constamment mal à l'aise (un personnage frustrant, austère et replié sur lui-même, se refusant à la moindre émotion mais complexé et rongé de remords) et un Marton Csokas redoutable, parfois jovial, parfois terrifiant. L'un des intérêts du récit sera de montrer l'évolution des rapports entre ces trois-là, les inévitables rapprochements, les scrupules et les envies tandis que s'égrènent les heures qui les séparent du passage à l'acte : il faudra capturer et tenter de faire passer la cible à l'Ouest, et le minutage doit être parfait. Premier écueil : on a du mal à croire en la manière dont les liens se créent, malgré les efforts des interprètes. Il y a dans ce duo à trois des brutalités inexplicables, des rapprochements contre-nature que le contexte particulier et la pression des objectifs n'expliquent que partiellement.

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Evidememment, tout ne se déroule pas comme prévu, et la tension de monter d'un cran : cette fois, il faudra séquestrer l'ex-nazi, et ce ne sera pas une partie de plaisir. Le bonhomme est finement joué par un Jesper Christensen tout en nuances aux paroles blessantes et pertinentes. Le dernier tiers retrouve nos héros à Tel-Aviv en 1997, flanqués d'une révélation terrible qui mettra en péril tout ce qu'ils avaient péniblement tenté de construire depuis Berlin. On sent l'urgence de la situation, l'ironie cruelle du sort : il y a une dette à régler, et une seule personne apte à le faire. C'est là qu'on se dirige vers une résolution qui perd beaucoup de la substance dramatique du récit initial : osée, trop sans doute, et inutilement ostentatoire. Il n'était nul besoin de recourir à une conclusion aussi spectaculaire, mais la mise en scène parvient à atténuer le décalage, même si on se rend alors bien compte qu'on n'est pas du tout dans un récit inspiré de faits réels.

Un film grandi par ses intentions et le jeu de ses interprètes féminines, qui reprend

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dans une grande part le caractère glacial, chirurgical et dérisoire de Munich tout en digérant difficilement les interactions et les implications des actes de chacun. C'est sans doute la gestion du personnage de David, moteur idéologique du trio, qui pèche. Il n'empêche que le métrage est rondement mené et maintient aisément la tension jusqu'à la fin. A voir.

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Titre original

The Debt

Réalisation 

John Madden

Date de sortie

15 juin 2011 avec Universal

Scénario 

Matthew Vaughn, Jane Goldman & Peter Straughan d'après l'oeuvre de Assaf Bernstein & Ido Rosenblum

Distribution 

Jessica Chastain, Helen Mirren, Sam Worthington, Tom Wilkinson & Ciaràn Hinds

Photographie

Ben Davis

Musique

Thomas Newman

Support & durée

Blu-ray Universal (2014) region B en 2.40:1 / 120 min

Synopsis:En 1965, trois jeunes agents du Mossad - Rachel Singer, David Peretz et Stephan Gold - orchestrent la traque et la capture du tristement célèbre "chirurgien de Birkenau" dans le but de le transférer en Israël où il sera jugé pour ses crimes passés. Mais le détenu tente de s’enfuir et la mission s’achève avec la mort du criminel nazi dans les rues de Berlin-Est. Les trois agents rentrent en Israël où ils sont accueillis en héros.

30 ans plus tard, Rachel est toujours célébrée dans son pays comme un modèle de dévouement et de courage. Et sa fille publie un livre qui relate toute la mission du trio, de l’identification à l’enlèvement, puis à la séquestration du médecin nazi à l’ombre du Mur de Berlin. Mais bien des choses se sont passées depuis. Rachel et Stephan ont été mariés et ont divorcé. Et David n’est toujours pas en paix avec lui-même ni avec Rachel. Un sentiment de doute et d’incertitude plane sur le trio.

Quand Stephan révèle à Rachel l’existence d’un vieil homme en Ukraine qui prétend être le véritable "chirurgien de Birkenau", la possibilité d’une compromission lors de la mission à Berlin-Est et d’un secret qui durerait depuis 30 ans émerge soudain. Rachel reprend le chemin de l’Europe de l’Est. Hantée par ses souvenirs, elle va devoir affronter les traumatismes du passé et enfin s’acquitter de la dette qu’elle a contractée tant d’années auparavant.


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