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Musique et Châtiment | Episode 2 : Entre Soul et Funk.

Publié le 14 avril 2015 par Le Limonadier @LeLimonadier

Dans le dernier volet de Musique et Châtiment, nous évoquions à coup d’exemples, les terribles trajectoires des pères fondateurs de la soul music à l’aune des faits-divers – suicides absurdes, attaques à l’huile bouillante, overdoses, crashs aériens – qui marquèrent leur destin et, du même coup, l’histoire du genre.

De Johnny Ace à Marvin Junior, de Sam Cooke à Al Jackson en passant par le révérend Green, le premier volet de cette série musicalement macabre se devait de faire des petits. C’est chose faite avec l’épisode qui va suivre. Au programme du chapitre 2 : plus de larmes, plus de sang et plus de sueur. À dire vrai, c’est le principe du funk (« puant » en argot américain). Et, comme dirait l’autre, quand ça pue, c’est encore meilleur.

Retour à la fin des années 60. Après l’arrivée fracassante sur le devant de la scène de tout un lot d’artistes influencés à la fois par le gospel, le RnB et le jazz des années 50, le virus de la « soul music » a très vite muté : bouillonnante de l’intérieur, il lui fallait s’exporter sur le dancefloor… C’mon !

Vous sentez ces grouillements dans vos gambettes ? En guise d’introduction les amis, commençons donc par un premier cas qui, à lui seul, incarne ce qui nous intéresse aujourd’hui : la frontière ténue entre les racines gospel de la soul et l’ambition groovique de ce qui, quelques années plus tard, deviendra le funk : Bobby Womack.

“Across 110th Street” a non seulement contribué au succès du travelling d’ouverture de Jackie Brown – cette sombre histoire de trafic d’armes magistralement filmée par Tarantino en 1997 avec Pam Grier en hôtesse-dealeuse pour le compte d’Ordell Robie joué Samuel L. Jackson. Mais le morceau fut initialement composé par Womack pour la bande originale du film éponyme signé Barry Shear, chef d’œuvre de la Blaxploitation et sorti en 1972.

En tendant l’oreille, on perçoit dans ce chef d’œuvre de Bobby Womack la marque à venir d’une nouvelle ère : la soul du début des années 70 est plus complexe, rythmiquement plus subtile. Teintée de tonalités funky, les plus grands analystes s’accordent à dire qu’elle est au genre ce que le chorizo ibérique est au salami : un cousin plus fruité, agréablement pimenté. Et les lyrics du morceau ne nous disent pas autre chose ! La “110th Street”, à Harlem, c’est une frontière informelle entre les riches et les pauvres. Et, le long des trottoirs de cette zone un peu spéciale chante Womack, « you’ve got to be strong, if you want to survive ». C’est exactement ce que fit la soul music. Pour survivre elle devint plus puissante. Mais la puissance demande des concessions… Vous l’aurez compris, on commence cette nouvelle liste où se mêlent, à nouveau, soul music et histoires dramatique, avec la singulière histoire du bien nommé Bobby.

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Bobby Womack, ex-guitariste de Sam Cooke, débute sa carrière solo au début des années 60 avec son frère, Harry (à la basse). C’est la grande époque des Valentinos

Mais c’est à la mort de Cooke qui, on l’a vu dans l’épisode précédent, fut retrouvé assassiné dans des conditions étranges dans un motel de Los Angeles, que Womack commence à tailler (au sécateur) sa réputation… En 1965, à 21 ans à peine, et quelques mois seulement après la disparition de son père spirituel, il décide d’épouser sa veuve Barbara. Jusqu’ici tout va bien. Ces choses-là arrivent. On se console comme on peut. Mais d’aucuns admettront qu’à cette époque Bobby pousse un peu le bouchon ! Non content de se présenter à la noce habillé dans un costume qui appartenait à Cooke himself, on le croise fréquemment dans les rues de Los Angeles en train de parader au volant de la voiture du défunt avec la veuve Barbara, fraîchement remariée donc, sur le siège passager. Ambiance !

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C’en est trop pour Charles, le frère de Sam Cooke : après plusieurs altercations avortées et de vilaines menaces, les deux hommes conviennent d’une « rencontre » pour s’expliquer, dans un motel de Chicago. Mais ce jour-là, Bobby Womack n’aura pas le temps d’ouvrir la bouche : il se prend derechef un coup de crosse de colt sur la tempe et une paire de mornifles qui l’étalent parterre. Il s’en sortira avec une tête façon pastèque et la mâchoire fracassée. Pas très ghetto comme sortie. Et son couple ne durera pas très longtemps après cette humiliation familiale : en 1970, Womack divorce. D’ailleurs voici pourquoi :

Bobby est certes marié Barbara, mais il préfère coucher avec la fille de sa femme – Linda Cooke – ce que Barbara n’assume pas totalement. C’est ainsi que, sur un coup de tête, elle tentera de lui transpercer la sienne (de tête) avec un calibre .32. Mais la balle épargnera Bobby qui s’enfuit juste à temps… Quelques années plus tard, Linda, elle, se mariera avec le plus jeune frère de Bobby, Cecil. « That was all really fucked up, » dira Bobby des années plus tard. Tu m’étonnes !

Mais à cette époque, il n’a encore rien vu… C’est son propre frère, Harry, qui n’échappera pas au courroux féminin : en 1974, sa girlfriend de l’époque trouve des sous-vêtements étrangers dans la chambre qu’il occupe chez son frère. Folle de jalousie, elle poignarde Harry à mort. L’enquête révèlera qu’il n’avait pourtant rien à voir dans tout ça, et que les sous-vêtements litigieux appartenaient à une des conquêtes de Bobby… Mais le mal était fait. La chanson « Harrie Hippie » qu’on se réécoute, en live, pour le plaisir, devint un hommage de Bobby à son frère mort.

Conclusion n°1 : la soul ne tient pas à grand chose : il suffit parfois d’un bout de tissu rose oublié sur la moquette pour fabriquer un tube. C’est l’effet papillon du RnB.

Preuve en est, si Bobby n’avait pas été Bobby, un autre géant aujourd’hui bienvenu dans notre liste déchirante n’aurait peut-être jamais percé : c’est Wilson Pickett. On vous dit tout :

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À la fin des années 60, après un détour avec Eddie Floyd au sein du groupe The Falcons et quelques morceaux qu’on n’oubliera jamais, le sieur Pickett pédale un peu dans le boulgour. Soit il écrit pour les autres (les Grateful Dead, Roxy Music, Led Zeppelin, les Creedance) soit il reprend des tubes écrits par les copains parmi lesquels… Bobby Womack, dont il recyclera le suprême “I’m in Love”. D’ailleurs pendant qu’on y est :

Et puis, puisque qu’on vous sent en forme, on vous passe aussi “sa” version d“Hey Joe”.

Alors funky ou pas ?

Jusque-là tout va pour le mieux, rétorquerez-vous. Mais non en fait. Pickett a lui aussi eu son lot d’embrouilles. Par où commencer ? Par l’alcool. Pickett a toujours aimer picoler. C’est d’ailleurs à cause d’un verre de trop dira t-il, qu’il a par exemple roulé sur une personne âgée et massacré le jardin du maire de la ville d’Englewood (New Jersey) où il résidait en hurlant des insanités et des menaces de mort. La police trouvera une dizaine de canettes de bières encore fraîches et 6 cadavres de fioles de vodka bon marché sur le siège passager. L’autre problème, c’est qu’il adorait les armes à feu (conservées chargées, of course, dans sa voiture), ce qui lui valu également quelques problèmes : dont plusieurs gardes à vues pour “assaut”sur sa copine mais aussi sur ces salopards d’Isley Brothers qu’il tenta d’assassiner après une altercation avec son calibre .38. On s’écoute quand même un classique des Isley par curiosité.

Ca vous rappelle quelque chose ? Ca peut-être ?

“Uhh, Puff Daddy, Biggie Smalls, Junior M.A.F.I.A., represent baby bay-bay!” Oh ! Tout doux, bijou. Du calme. Le volet nineties de la série Musique et Châtiments viendra un jour. Revenons à nos moutons.

Impossible de continuer cette série sans évoquer le tragique accident de Teddy Pendergrass. Teddy a toute sa place dans notre sélection puisqu’il incarne peut-être à lui seul le tour pris par la soul à partir des années 70, nimbée d’influences funks et d’arrangements luxuriants aux limites du disco : c’est le Sweet Philly. C’est en effet à Philadelphie que naît, au début des années 50, un groupe important, The Charlemagnes (plus swaggy comme nom, tu meurs) futur Harold Melvin and the Blue Notes (pour info, le fameux « Don’t leave me this way » , au départ, c’était eux). Et Pendergrass, lead singer fut, de loin, leur membre le plus connu.

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Mais trêve de balivernes, passons rapidement sur les “tubes” de la carrière solo de Pendergrass. Et enchaînons sur ce qui nous intéresse tous : pourquoi Pendergrass se trouve t-il dans notre liste ? Et bien parce qu’en 1982, son accident en Rolls Royce Silver Spirit mérite le détour : plein gaz, de nuit, dans les dangereux virages de la fameuse Lincoln Drive Road de Philadelphie, il s’explose contre un arbre en compagnie d’une transexuelle du coin, Tenika (John, en fait) Watson. Il s’en sortira. Mais passera le restant de ses jours dans un fauteuil, paralysé. Ce qui ne l’empêchera pas de continuer  :

Un concert de soul/funk en fauteuil roulant peut-il être groovy ? La réponse est oui. Come’on Teddy !

Aparté concert assis : en seconde position des souls singers qui ont fini assis (ou presque), pensons quand même à Solomon Burke et ses 180 kilos de style (cf. la photo de une de cet article). Rongé par son poids et l’arthrite à la fin de sa vie, il ne se transportait plus tout seul. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer à chanter avec cette voix qu’on lui connaît et de garder son humour : dans une interview de 2008, juste avant d’entamer un régime violent, il eut ces mots princiers : « God knows I’ve enjoyed every kind of food there is, all around the world. It’s not like I’m going to miss any of it. Because I’ve had it all! ». Mais son corps ne résistera pas. Il est mort quatre ans plus tard d’une embolie pulmonaire.

Mais après Bobby, Willie et Teddy, continuons cet épisode 2 entre soul et funk en beauté avec notre 4e larron en « y », Donny Hathaway.

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On s’écoute un morceau de Donny, convenons-le, sacrement sexy :

La pauvre Donny, comme son père avant lui, a eu beau se concentrer très fort et faire des efforts toute sa vie, n’a jamais vraiment réussi à sortir de ses névroses. Dépressions chroniques, crises d’angoisses et de panique, il ne se passe guère plus de 6 mois sans qu’il passe et repasse par la case Prison psychiatrique. Pour tenir le coup, il peut compter sur son amour de toujours, Roberta Flack mais Roberta finira par se lasser… Après un dernier album au titre à méditer, Extension of a Man, un best of de ses morceaux en 1978 et quelques duos remarqués avec celle qui partage pourtant encore sa vie, Donny meurt subitement : il saute (vraisemblablement) du 15e étage de la chambre de son hôtel l’Essex, à New-York. Nous sommes en janvier 1979, il fait froid et c’est la fin du “Little Ghetto Boy” . Les années 80 peuvent commencer.

Donny Hathaway laisse ses proches et ses musiciens éplorés. Parmi eux, Don Myrick, un saxophoniste de génie par ailleurs membre des Phenix Horns Esq, la section des cuivres des mythiques Earth Wind and Fire. Bien des années après la mort de son pote Donny, Myrick aura UNE mauvaise idée : amateurs de psychotropes divers, il ouvre un jour à un officier de la brigade des stups avec un allume-gaz à la main et une clope au bec. L’agent prit ça pour un pistolet. Et « riposta » droit devant. En plein dans la poitrine de Donald ! POUM.

A bientôt pour de nouvelles aventures.

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décès, Don Myrick, Donny Hathaway, Earth Wind and Fire, Eddie Floyd, faits divers, Funk, humiliation, Isley Brothers, Pendergrass, RAMPAGE, Sam Cooke, Solomon Burke, Soul, The Charlemagnes, Wilson Pickett


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