... ou, du moins, ne s'agit il pas que de pères cénobites.
Qui me lit à peu près régulièrement aura tout d'abord compris que j'ai un humour douteux et ensuite qu'il s'agira ici de ma réponse à la réponse que Jacky Rigaux fit à ma réponse à l'un de ses textes.
Oui, s'il devait durer ce jeu de ping-pong deviendrait rapidement compliqué à suivre ...
(déjà que ...)
Sa réponse, donc, qui est hébergée sur le recommandable blog du gje.
Les présentations étant faites ...
Encore que nos deux précédents billets (dont celui qui m'intéresse plus particulièrement ce soir) fassent la part belle à l'Histoire - parfois la petite histoire - ce ne sont me semble t il que de longues introductions, longues ... voire fastidieuses. D'autant plus fastidieuses que je crois qu'elles ne sont pas le fond du sujet, et peut-être même n'y sont elles que très peu reliées (quand bien même J Rigaux a tendance à user et abuser des connecteurs logiques "donc", etc ...). Tout au plus permettent elles de meubler en faisant, sous prétexte d'épistémologie, assaut d'érudition avant de tenter de faire entrer, parfois de force, quelques gros clous bien trapus.
Cette remarque vaut sans doute autant pour J Rigaux que pour moi même. J'essaierai donc d'en tenir compte, encore que j'ai la fâcheuse impression que mon contradicteur ne vient pas de me faire une réponse au sens que je mets à répondre, mais plutôt qu'il en a remis une couche sur son billet initial.
Quoiqu'il en soit je vais tout d'abord essayer de mettre au clair deux points d'inégale importance :
- pour une fois, je ne reprendrai pas point par point les termes de mon contradicteur : d'ordinaire je fonctionne ainsi, sauf que là je trouve le texte un peu en vrac : j'irai donc y glaner çà ou là.
- je tiens, ensuite, à dire que peu m'importe le pedigree de mes contradicteurs, car l'argument d'autorité a cessé de me faire de l'effet depuis fort longtemps.
De mes contradicteurs et/ou de ceux qu'ils invoquent en renfort à leurs démonstrations.
D'ailleurs, sur ce blog, je me suis fait le plaisir d'aller chatouiller un Prix Nobel (certes seulement de Médecine) ou tel ou tel professeur faisant - pour certains ... - référence (tant il est vrai qu'une blouse blanche qui va dans ton sens est un génie ... souvent persécuté par ses contradicteurs eux aussi en blouse blanche mais qui sont forcément des malfaisants).
Que telle ou telle autorité ait pu émettre (commettre ?) de splendides phrases me laisse froid, et ce quand bien même ce serait François Jacob (Pierre et les autres) avec son « La biologie, comme toutes les sciences de la nature, a abandonné nombre de ses illusions, elle ne cherche pas la vérité, elle construit la sienne. ».
Citation qui doit pouvoir être utilisée en bien des circonstances.
Mais soit, va pour le passage obligé des citations, à ce petit jeu je n'invoquerai que Spinoza, puis C'heng Hao :
"tous les préjugés que j’entreprends de signaler ici dépendent d’un seul : les hommes supposent communément que toutes les choses naturelles agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin"
"Si quelque chose est dit sur la nature, alors ce n'est déjà plus la nature"
Pour ce qui concerne les citations, ça suffira : je ne suis adepte ni du prêt à penser, ni du recours abusif aux grands anciens qui évite d'avoir à poser ses arguments et son raisonnement.
Or :
"A partir du moment où l'homme commence à comprendre les lois de la nature, il s'en sert pour intervenir sur elle. Un vignoble est donc le fruit d'une nature qui fonctionne, qui produit naturellement de la vigne, une vigne dite sauvage, et d'un homme qui y met son savoir en acte pour domestiquer cette plante sauvage qui devient alors « cépage » et pour trouver les endroits où obtenir des résultats qui le satisfont".
C'est quand même de l'enfilage de perles !
Sans compter que du point de vue "résultats qui le satisfont", du Côté Tariquet jusqu'à la Côte de Nuits, la palette est large !
Je me contenterai donc de signaler que la domestication fait perdre son côté sauvage, et sans doute naturel, à la vigne. Et que chercher à satisfaire l'Homme c'est bien abandonner le Naturel au profit du Culturel (quand bien même ce culturel peut, pour certains, s'exprimer par toutes sortes de revendications d'une Nature souveraine autant que fantasmée).
En outre : que l'on sache comment la plante assimile le minéral ne donne aucune information sur comment elle le métabolise et comment cela se traduit, ou pas, dans l'expression sensorielle du vin.
Pour autant, si cette assimilation peut-être démontrée j'imagine que cela a du être fait dans une revue autrement plus convaincante (au moins d'un point de vue scientifique et technique) que le Rouge et le Blanc !?
Qu'importe : la vigne assimile le minéral (à tout le moins certains minéraux dans certaines conditions ?) ? La belle affaire : c'est bien le moins qu'elle puisse faire !
Pour ce qui nous occupe ici, la question n'est d'ailleurs pas de savoir si et comment elle les assimile ! mais bien ce que ce pool de minéraux est, devient ... et surtout par quelle opération il donne ou pas ce fameux (ce fumeux ?) goût de terroir.
C'est quoi d'ailleurs du point de vue de la composition minérale, le goût de terroir ?
"Et si on délimite les parcelles, si on fait du vin avec les raisins qui y sont produits, le vin qui en naît exprime un goût original, le goût issu de leur lieu de naissance".
Chardonnay, Sauvignon blanc, Chenin ou Tannat plantés sur un même climat de la Côte de Beaune donneront des vins avec un seul et unique goût de terroir ?
Non, bien sur : d'où le "cépage / lieu".
Mais ce n'est bien sur pas suffisant ! Pas de "cépage / lieu" mais bien "cépage / lieu / Homme" !
Et l'on est, encore une fois, dans l'approche culturelle de ce que le vin est ou devrait être.
Dans le culturel, et même dans le jugement de valeur !
Rien de naturel dans cette histoire.
J'en veux pour preuve le travail des moines :
Ce sont donc eux qui commencèrent à délimiter les parcelles de vignes avec rationalité..., les futurs « climats »
Je serais curieux que J Rigaux développe ce "avec rationalité" (enfin, quand je dis "développe" c'est une figure de style, hein ?).
D'autant qu'à ce stade on peut me semble t'il se poser quelques questions rationnelles qui piquent un peu :
- le Clos Vougeot tel qu'il est aujourd'hui fragmenté goûte t'il toujours "Clos Vougeot", en toute subdivision du climat, ce fameux climat "Clos Vougeot" ?
Genre en haut et en bas de ce qu'il faut bien nommer la pente, et ce que l'on soit en année sèche ou humide ?
Selon la réponse que l'on fera à cette question on pourra ensuite s'interroger sur les marques vilipendées par J Rigaux dans son premier billet : le Clos Vougeot, et bien d'autres climats, que sont ils devenus, sinon des marques (pour certaines collectives) ?
- il est de bon ton, pour tout Bordeaux basher qui se respecte, de taper sur les vilaines marques que sont les très vilains Grands Crus de la rive gauche. Et chacun d'y aller de son couplet sur l'augmentation des surfaces de ces Châteaux depuis 1855.
Je ne me rappelle pas avoir lu de comparaison des surfaces utilisées en 1855 pour le classement et aujourd'hui pour le premier vin (car la surface totale on s'en fout, de ce point de vue du moins).
Qu'est ce qui est le plus gênant ? Augmenter le parcellaire à Bordeaux, ou bien le fragmenter en Bourgogne. Et de ces deux évolutions quelle est celle qui dévoie le plus l'idée initiale ?
Chacun répondra à cette question à l'aune de ses convictions.
A propos de convictions : celles de J Rigaux le portent de toute évidence vers la biodynamie.
On aura pu lire quelques un de mes billets ... dans lesquels je me fais plaisir en commentant tel ou tel document issu de cette chapelle. J'aime bien le dernier (qu'il faut que je finisse de retravailler pour le faire héberger chez des gens aussi sympathiques que joueurs), qui reprend quelques éléments "techniques".
Ici, je ne retournerai donc pas sur ce terrain, ou le moins possible. Juste faire remarquer que, oui, en effet :
La nature fonctionnait avant que l'homme n'en connaisse les lois.
C'était bien la peine d'en mettre des pages pour en arriver là.
Faut il vraiment rappeler que planter quelques milliers de pieds (par hectare) d'une même variété (et ce que la sélection soit massale ou clonale. Oui, je suis joueur), que l'on mènera selon telle ou telle façon culturale, avant de décider de la date de récolte : tout cela n'a rien de naturel.
De même que la vinification n'a rien de naturel.
Ben non. Spas naturel tout çà, ma brave dame. C'est culturel.
Pour plagier Dumas, on viole la Nature pour lui faire de beaux enfants (Comme je suis un type somme toute assez sympa, je vous évite la couillonnade habituelle : non le devenir naturel n'est pas le vinaigre. Le vinaigre non plus n'est pas naturel. Le devenir naturel c'est de l'eau, du gaz carbonique et quelques sels au bon goût de lieu.
La grosse éclate).
Les bio-dynamistes ont fait le choix de n'intervenir sur la nature qu'en se demandant si ce qu'ils font sur elle est bon pour elle. Ils privilégient les éléments naturels pour l'aider à restaurer ses fonctionnements naturels.
Pourquoi pas. L'intention est louable.
Sauf que mon côté science officielle ricane très fort devant la bouse de corne, le dynamiseur, et les conjonctions astrales (je fais la version courte). Ou la valériane à pulvériser dans le chai pour lutter contre Brettanomyces : celle là je l'aime vraiment beaucoup.
Si j'apprécie le travail des bio-dynamistes, et si je contribue à le populariser, c'est parce qu'il conserve la philosophie des inventeurs de la rationalité
Grandiose.
Si, si. Grandiose.
A ce niveau de la compétition je peux pas lutter sans devenir vraiment désagréable et à ce stade je n'en vois pas l'utilité.
Pourtant, désagréable Monsieur Rigaux se risque à l'être en ayant recours à une petite pique manquant un peu d'élégance :
Les entreprises qui fabriquent des levures, par exemple, sont tellement puissantes qu'elles peuvent recruter d'excellents techniciens, par ailleurs excellents vulgarisateurs de leurs produits. Cependant, ils ne peuvent pas empêcher de penser que, comme le disait Henri Jayer, « dès que l'on introduit une levure étrangère au lieu, on commence à quitter le terroir ! »
Mettons donc que je sois un excellent technicien doublé d'un excellent vulgarisateur (en même temps à embaucher des salariés, autant éviter de recruter des truffes). Je vais donc faire de la vulgarisation :
- les entreprises qui fabriquent des levures ne les fabriquent pas : elles les multiplient à l'identique, certes industriellement, mais elles les multiplient ou, plus précisément, elles les font se multiplier.
Quelqu'un qui utilise autant de mots que J. Rigaux comprendra, je pense, la différence fondamentale qu'il y a entre fabriquer et multiplier.
- à ma connaissance personne n'a encore fait la preuve que les levures sont constitutives du terroir tel que nous l'entendons. Non, pas plus H Jayer que l'une de ces entreprises tellement puissantes qui mit en place de multiples sélections terroir avec tel ou tel organisme local et qui, incidemment, recruta l'excellent technicien et excellent vulgarisateur que, si j'en crois J. Rigaux, je fus sans doute et suis peut être encore un peu ?
Du coup j'en profite pour sortir des oubliettes un vieux machin auquel je m'étais hasardé il y a une grosse dizaine d'années. Oui, çà : Fuster A., Escot S. (2002)L'idée était marrante (normal, vu que c'était mon idée). Il s'agissait de prendre deux levures réputées mener le vin dans des directions très différentes : l'une (sélectionnée en Italie) libérait très tôt des polysaccharides pariétaux très réactifs permettant de jouer sur le volume en bouche des vins, l'autre était issue d'une sélection bourguignonne, par les bourguignons, pour les bourguignons pour donner des rouges burgondes de chez burgondes (le genre austère quand ils sont bébés, qui se révèlent au cours du temps).
Elevage des vins rouges sur lies fines : choix de la levure fermentaire et ses conséquences sur les interactions entre polysaccharides pariétaux /polyphénols.
Revue des Œnologues, 104, 22-24.
Ces deux bestioles on les comparait, toutes choses égales par ailleurs, sur deux cuves identiques dans divers domaines de différentes régions et appellations et puis on faisait un suivi longitudinal depuis l'entrée en cave des raisins jusqu'après la mise en bouteille.
A la dégustation le Volnay était resté un Volnay, comme l'avait fait le Madiran, le Pommard, le Beaujolais (de je sais plus où) et quelques autres.
Pour autant : fin FA, fin FML, et jusqu'à 6 à 9 mois d'élevage les différences entre levures étaient assez nettes (d'autant plus nettes que l'on avait un jury expert qui savait ce qu'il cherchait : le volume en bouche), puis les effets s'estompaient avec le temps, sous les effets de l'élevage sur lies.
La meilleure preuve que ce travail était tant rigolo qu'intéressant c'est qu'il m'a permis de me faire salement allumer par les obtenteurs de chacune des deux levures qui estimaient leur bébé injustement maltraité.
Ce que pour ma part j'en retenais ? que n'en déplaise à messieurs Jayer et Rigaux, si les levures ont, sous certaines réserves et dans certaines conditions, des effets mesurables sur telle ou telle caractéristiques du vin (à condition bien sur d'avoir un témoin digne de ce nom !), ces effets ne sauraient ni transformer un âne en cheval de course, ni masquer tant le terroir que la patte du vigneron.
Sinon, comme d'hab (j'ai la fâcheuse impression de me répéter, mais en même temps c'est le lot de tout vulgarisateur qui se respecte) : il va falloir me prouver en quoi et pourquoi une levure est, par le simple fait de sa présence à un endroit donné à un moment donné (intestin de guêpe (non, je déconne pas !), vigne, sécateur, corps de pompe, cuve, etc ...) la plus à même de révéler le terroir de la façon dont nous nous attendons, culturellement, à ce qu'il soit révélé.
Aucune urgence, je suis pas pressé.
Mais jusqu'à preuve du contraire, les levures indigènes : le terroir et son expression, elles s'en tamponnent ce qui leur sert de coquillard avec une patte d'alligator femelle.
Bien sur il y aurait beaucoup à dire sur les autres propos de J Rigaux :
- à propos des liquoreux élaborés par les romains (je demande à voir),
- sur le couplet à propos de l'agriculture productiviste qui est très très mal. D'autant plus mal qu'il y avait surement plein d'autres solutions bien plus élégantes pour nourrir un peuple qui crevait la dalle. Il faut vraiment être gonflé pour ainsi "oublier" ce que c'étaient que les tickets de rationnement dont la valeur calorique a continué à diminuer longtemps après que la guerre soit finie alors que les importations de viande et céréale explosaient.
- bien d'autres choses encore ... mais j'ai ma dose là. Puis vous aussi peut-être, fidèles lecteurs qui avez tenu jusque là ...
Y a encore quelqu'un ??
A tout hasard, je finirai par une question essentielle : c'est quoi le terroir de la marmotte ?
Quelle serait son expression sur les pentes non pas de l'Himalaya cher à J Rigaux, mais sur celles des Andes ?