Ce n'était peut-être pas une si bonne idée de proposer "un vin trembleur comme une flamme" comme thème des 82èmes Vendredis du Vin ?!
Bien sûr Apollinaire m'a fait découvrir la poésie et j'ai une affection particulière pour son œuvre, bien sur il y avait ce vin carafé dont les reflets tremblants (trembleurs ?) sur le marbre de la table m'avait mené aux Nuits Rhénane de ce cher vieux Guillaume et, par conséquent, à ces VdV ... mais jusqu'à la veille du Vendredi fatidique j'étais un peu court côté idée de billet ...
Puis voilà, la veille au soir, arrive une soirée dans un bar à vins qui m'était jusqu'alors resté inconnu : Vins Urbains (Rue des Bahutiers, à Bordeaux).Dès l'entrée ça s'annonce bien : il y a une jolie carte des vins au verre.
Très jolie, même !
Mais ne venant pas pour çà je descends à la cave pour une dégustation comparative.
De vins, bien sur.
De vins ... mais avec ou sans traitement par un appareil relativement récent : l'iSommelier d'iFavine.
Sa revendication est une oxygénation contrôlée mais importante qui permet en quelques minutes de reproduire les effets de plusieurs heures de carafage.
Y a pas de hasard, c'est bien connu : parmi les trois vins retenus pour le test il y a le Pauillac 21012 d'Alain Albistur, au Domaine Les Sadons. En 2012 je travaillais, entre autres vignerons, avec Alain : je l'évoquais dans un billet consacré à quelques uns de ses vins (dont ce même 2012). J'ai également écrit à propos d'Alain et ses vins à diverses autres occasion dont, tout récemment, pour rendre compte de la dégustation des ses 2014 et 2015.
Bref ("bref" car je sais déjà que Nicolas va (encore) me dire que je fais des billets bien trop longs) : c'est en voyant trembler Les Sadons (2012) pendant 2 minutes sous l'effet des bulles d'oxygène dans l'obscurité de la cave que m'est venu le lien vers ce billet tremblotant ...
Donc, 3 vins disponibles chez Vins Urbains nous étaient proposés au travers d'un comparatif "vin ouvert et dégusté" / "vin ouvert, passé sous l'iSommelier et dégusté" :
- le Saumur blanc "Les Salles Martin" (2014) d'Antoine Sanzey.Servi sans doute un peu trop froid le vin s'annonce par un joli nez frais : agrumes, exo (ananas) et un chouia fruits secs. Belle bouche tendue, de bonne longueur. Très fraîche mais équilibrée.
Beau vin.
L'autre bouteille, tout aussi fraîche, passe 40 secondes sous l'iSommelier (ce qui nous est annoncé comme correspondant à 40 minutes de carafage).
Si la température reste inchangée l'expression du vin a, elle, évolué : le nez est moins frais et montant mais, pour autant, la note fruité éxotique me semble plus sensible, et un aspect grillé / épicé s'annonce. La bouche est plus ample avec une structure acide bien sur toujours là mais qui est contrebalancée par un volume qui semble plus important. Toujours un bel équilibre, mais différent : le vin semble plus ample et la maturité est plus reconnaissable.
Avec 40' de plus on passe à autre chose : noisette et grillé sortent plus nettement, avec ananas et agrumes au second plan. En bouche, le vin semble encore plus ample avec la fraîcheur qui est surtout sensible sur la prolongation d'une très belle finale.
Préférer l'un ou l'autre vin relève sans doute d'un détail annexe car c'est pas le sujet. Le sujet c'est que, même sur un blanc sec (ça pouvait sembler douteux) le truc a un effet sensible qui semble correspondre à ce qui était annoncé.
- Le Côte Rotie "Fortis" (2013) de Stéphane Montez.
Sortie bouteille on est (forcément ?) sur un vin au nez top réduit, quasiment animal / lardé. Un truc du genre violent. Ça commence à s'ouvrir sur du fruit noir avec une agitation vigoureuse mais reste quand même bien cadenassé.
En bouche une très belle structure tannique, avec la fraîcheur qui va bien. Les arômes fruités / floraux / poivrés son là en bouche mais la finale est bien austère.
C'est un infanticide (et y en a sous la pédale).
Après 2 minutes (équivalent de 2 heures de carafage ?) sous l'iSommelier le vin s'est joliment ouvert (fruits noirs mûrs, poivre, épices douces, réglisse, ...).
Toujours de beaux tanins et une puissance indéniable en bouche, pour autant le fruité / épicé est plus sensible et, surtout, on a gagné en rondeur et en harmonie. Le vin me semble plus complet, plus fondu.
Le résultat est bluffant.
En fin de soirée le vin "carafé" se goûte toujours très bien (en clair et sans décodeur : pas de déviance du genre "éthanal").
- le Pauillac "Domaine Les Sadons" (2012) d'Alain Albistur.
Comment passer pour un con ... en préalable j'étalais ma science en disant qu'Alain est quelqu'un d'aimable, d'une grande gentillesse, et qu'il élabore donc des vins qui lui ressemblent : aimables. Pas des monstres body buildés avec la puissance qu'on peut s'attendre à trouver à Pauillac.
Mauvaise pioche : Les Sadons (2012) n'est certes pas un vin de culturiste, m'enfin côté puissance il est là et bien là !
Le nez est déjà plaisant bien que dominé par les notes boisées / épicées / empyreumatiques. Très grosse matière, aux tanins présents mais enrobés. Belle finale, bien qu'un rien sévère.
La bouteille qui passe 2 minutes sous l'iSommelier s'annonce par un nez fin, ouvert, ou le boisé est intégré bien plus harmonieusement au joli vin qui se cachait derrière.
Bouche très ample, dans laquelle les tanins ont gagné en soyeux et la finale en élégance. Très harmonieux et équilibré.
Très joli vin (il y en a un peu au fond de ma cave ... mais sans doute pas assez, et je crains qu'il ne soit épuisé, chez Alain !).
Bref, le truc est réellement impressionnant.
Bien sur au premier abord, au delà de l'évident intérêt pour un professionnel (= pouvoir servir un vin qui s'est ouvert en l'espace de quelques minutes, et ce sans avoir à danser le mambo avec une carafe dans chaque main) il semble d'un intérêt modéré pour l'amateur même éclairé : en principe quand on sort une jolie quille pour ses invités (ou pour sa gueule) on prend le temps de la préparer (voire même de les préparer). Bien sûr, pour les suivantes : quand l'envie te prend de descendre à la cave sacrifier tel ou tel flacon imprévu ça peut se passer un peu plus mal, surtout pour moi qui danse très mal le mambo, en particulier avec une carafe en main (même en fin de soirée). Et le rock acrobatique ça fait un bail que j'ai arrêté (tout bien considéré il aurait mieux valu ne jamais commencer).
Bon, on pourra ergoter sur l'argumentaire technique : j'ai un peu de mal avec la filtration de l'air ambiant qui permet d'éliminer les gaz autres que l'oxygène pour aérer le vin avec de l'oxygène très pur.
Peut-être que ça marche, note bien ?
Ça me laisse un rien perplexe mais vu qu'on n'est pas dans mon domaine de compétence c'est sans doute pas la peine d'en faire des tonnes, d'autant moins la peine que réalité ou bullshit marketing, il n'en reste pas moins - et c'est l'essentiel - que ce soir là sur ces vins là : l'iSommelier a eu des effets notables et réellement intéressants.
Pour le coup je prendrai donc un peu de distance avec un billet récemment paru (le 22 Février) sur jancisrobinson.com sous la plume de Richard Hemming (MW).
Entre autres choses il nous dit :
"This is perhaps the crux of the matter : the subjectivity of taste means that it is impossible to be definitive about wether the iSomm (or indeed traditionnal decanting) improves the character of a wine".Ben non : à mon immodeste avis, c'est pas du tout le crux of the matter ! Car on s'en tamponne le coquillard avec une patte d'alligator femelle de savoir si ça improve le character de le wine ! C'est une vue de l'esprit cette amélioration, comme bien des "améliorations" d'ailleurs : question de point de vue et de goût personnel, de circonstances aussi !
La question me semble plutôt être de savoir si le bidule permet de reproduire efficacement et sans effet négatif le résultat d'un carafage traditionnel.
Or en l'état, au vu de ce que j'ai goûté : j'ai tendance à répondre "oui".
Au delà de ce simple constat : que le vin soit jugé meilleur ou pas, quoique cela puisse vouloir dire, cela dépendra bien sûr des référentiels de chacun.
Et ce que l'on convoque ou pas, comme le fait Richard Hemming, les mânes des grands anciens, en l'occurrence Emile Peynaud, à propos de la décantation des vins :
"Authorities as scientifically respectable as the late Professor Emile Peynaud argued that this is oenologically indefensible : that the action of oxygen dissolved in a sound wine when ready to serve is usually detrimental and that the longer it is prolonged - ie the longer before serving a wine is decanted - the more diffuse its aroma and the less marked its sensory attributes.".Bon, au delà du fait qu'Emile Peynaud évoque la décantation et non le carafage, il est amusant de constater que dans le même temps R. Hemming observe que les vins sont différents sans qu'il puisse dire lequel est supérieur aux autres. Ce qui est peut-être un rien contradictoire avec la convocation de Peynaud qui précède ?
(Par ailleurs on peut s'extasier devant le génie de Thalès sans se sentir obligé comme lui - et Ovide - de défendre l'idée que la Terre est plate ... ou celui de Peynaud sans pour autant se sentir obligé de transformer tout ce qu'il a pu dire et écrire en parole d’Évangile (plus ou moins sortie de son contexte).
Pour conclure (enfin !) : la soirée fut intéressante tant par les vins qui y ont été proposés que par la découverte d'un lieu que j'ignorais ... mais aussi la découverte d'un outil dont, même si je n'envisage pas de m'en équiper (la version actuelle est à un tarif un peu plus que vaguement dissuasif pour le particulier que je suis ... mais une version allégée nous a été annoncée !), l'efficacité m'a semblé avérée.
(note pour très vite : penser à appeler Alain Albistur)
Ben voilà : c'était ma contribution aux 82èmes Vendredis du Vin, dont j'étais le président temporaire.
Dès Mardi (1er Février) le nouveau président sera Gérard Garroy.