Oui : c'est que la recette du saumon cuit au lave-vaisselle ou celle des spaghetti alle vongole, ça va deux minutes mais guère plus. Surtout si, dans le même temps que je prépare mes palourdes (qui sont en fait des coques), une personne certainement mal intentionnée me fait passer un texte contenant ceci :
« Les avancées scientifiques viendront peut-être de la bio-dynamie qui a davantage de proximité avec la physique quantique qu’avec l’œnologie. »C'est pile-poil le genre de truc qui me fait illico sortir la marmotte du terrier dans lequel elle répétait assidument le cantique du quantique.
Allez, il est plus que temps de plonger à nouveau dans le grand bain :
Le billet dont il s'agira ici est consultable en ligne sur le blog du GJE et a été écrit par Jacky Rigaux.
Il s'agit de :
"La minéralité dans le vin : mythe ou réalité ?Certains se souviendront peut-être que j'ai déjà eu un long échange, par blogs interposés, avec le même Jacky Rigaux :
Une approche épistémologique"
1. JR : "Biodiversité et valorisation des « goûts de lieu » dans le vin"
2. AF : "La marmotte et le goût de lieu"
3. JR : "Le vin de lieu, vecteur de bio-diversité"
4. AF : "Il ne s'agit pas de pères cénobites"
Il semble donc que le moment soit venu de poser la troisième couche car de toute évidence Jacky Rigaux continue à tracer la même voie. Encore que l'effet d'annonce puisse nous laisser penser le contraire.
Car ici il nous promet une approche épistémologique !
Mais nous n'avons en fait droit, me semble-t'il, à rien de plus qu'un bref survol de son parcours personnel et professionnel suivi d'une série d'assertions (c'est d'ailleurs un rien en forme d'argument d'autorité, la description du parcours ...).
A ce stade il me faut en outre observer que ce qui pour Jacky Rigaux est une assertion me semble n'être, au mieux, qu'une triste compilation d'allégations.
Le tout est de plus plutôt frustrant car on y cherchera donc en vain toute trace d'épistémologie mais, plus grave, le lecteur non initié restera sur sa faim s'il cherche à essayer de mieux percevoir ce qu'est la minéralité du vin.
Car que nous apprend Jacky Rigaux sur ce sujet ? Au commencement était le verbe et, avec le verbe, vient l'information que :
"C’est par la dégustation que j’ai rencontré la question de la minéralité des vins".Ce n'est qu'ensuite que vient le temps de l'aveu :
"Comment ces roches chargées de minéraux confèrent la minéralité au vin, on ne sait pas encore"
"on ne ne sait pas encore" ?!
Dans le cadre d'une approche épistémologique c'est ballot d'apprendre (certes très discrètement) dès l'entame que nous venons soudainement de basculer dans le champ de la spéculation.
Alors, au fil de la lecture de ce papier que nous propose t'on ?
Salar d'Uyuni (Bolivie). Crédit Photo :photomonde.fr
Rien d'autre qu'une vision réductrice du vin et de son approche au travers d'une conception à peu près aussi sèche, saline et minérale que le Salar d'Uyuni !Oui : il s'agit ici de prôner la sainte primauté du "toucher de bouche" sur tout le reste. Mais cette approche qui se veut minérale est surtout aride.
Aride même si, parfois, à l'instar du Salar d'Uyuni, elle s'orne de quelques motifs dont on cherchera en vain à comprendre le sens.
Mais, au delà de cette absence d'information tant sur ce qu'est la minéralité que sur son origine ou son expression, le plus gênant dans l'histoire est sans doute que Jacky Rigaux prétend s'en servir pour nous imposer une vision du vin et de sa dégustation qui nie ce qui ne relève pas du seul tactile :
"La dégustation géo-sensorielle, par le primat accordé au toucher de bouche, privilégie la dimension minérale du vin qui n’a pas d’odeur…, sans oublier bien sûr sa dimension organique qu’elle apprécie tout particulièrement par la rétro-olfaction Plutôt que de se perdre dans l’identification des arômes, il « taste » le vin, le laisse toucher son palais et révéler toute la complexité conférée par le lieu ! Par la rétro-olfaction en particulier, il se laissera bien sûr également séduire par la dimension organique du vin et la myriade de parfums qu’elle génère …"A ce propos : je trouve incompréhensible le processus mental qui permet, dans le même temps, de dénier tout intérêt à l'aromatique du vin lorsqu'il s'agit de sentir les arômes ... puis de concéder que ces mêmes arômes peuvent être séduisants lorsqu'ils sont abordés par le biais de la rétro olfaction.
Cependant tout ceci n'est sans doute qu'un détail devant cette citation :
"A cette évidence des climats est "consubstantiellement" associée la dégustation "géo-sensorielle" qui conjugue le goût et la connaissance du terroir"Cette phrase je la comprends comme une condamnation sans ambigüité de la dégustation à l'aveugle.
Et ce n'est pas sans me poser quelques problèmes de fond et autres questionnements sur la validité des conclusions tirées de cette forme de dégustation !Mais peut-être faut il aller chercher l'explication de tout ceci dans telle ou telle Freudaine ?
D'autant que sur ce sujet Jacky Rigaux n'est pas en reste :
"On peut faire un parallèle avec l’être humain. Freud, en effet, a découvert l’importance de l’Inconscient. Ce dernier a façonné notre personnalité, notre caractère, en agissant à notre insu dans la mise en œuvre de nos conduites, dans notre façon d’être au monde …"Ceci lui permettant une "habile" transition qui peut laisser perplexe, voire goguenard :
"L’Inconscient du vin, c’est sa minéralité".L'invitation de Jacky Rigaux à le rejoindre dans ce désert aride, ce désert peuplé du seul Sigmund, ce désert qui nie l'intérêt tant du vivant que de l'organique pour idolâtrer le minéral a bien sûr un sens, un but.
Au fond, de quoi s'agit-il sinon d'un nouvel hymne à la biodynamie et à une nature fantasmée ?
"Les vignerons ayant retrouvé l’intérêt pour les bonnes pratiques viticoles, bio-dynamiques en particulier, font confiance à la plante à laquelle ils ont offert des sols aux équilibres naturels restaurés et n’ont donc pas besoin de tous ces artifices".Bonnes pratiques viticoles / Biodynamie ?
Ben voyons donc !
Parlons donc de ces "bonnes pratiques viticoles" et abordons le sujet des préparations biodynamiques :
- P500 : bouse de vache mise dans une corne de vache ayant vécu sur le même terroir que celui dans lequel on va l'enterrer (pour pas faire d'interférence).
- P501 : même chose que la P500 en remplaçant la bouse par du quartz
- P502 : achillée bourrée dans une vessie (fraîche) de cerf que l'on fait sécher au vent
- P503 : capitules de camomille mises dans un intestin grêle de vache
- P504 : on enfouit de l'ortie dans une fosse
- P505 : on se procure un crâne frais de chèvre / vache / chat dont on ôte le cerveau avant de le remplacer par de la poudre d'écorce de chêne qui a été récoltée en jour racine.
- P506 : de la fleur de pissenlit mise dans du mésentère de vache
- P507 : à base de jus de valériane (je passe les détails, des enfants me lisent peut-être ?).
Je cherchais les mots pour décrire tout cela.
Voilà : grâce à Jacky Rigaux je sais maintenant qu'il s'agit de "bonnes pratiques viticoles".
Je ne l'en remercierai jamais assez !
Ensuite nous avons bien sûr droit au classique couplet anti levures œnologiques assorti d'une louange appuyée de la biodynamie, ce modèle de pureté (avec un peu de pratique il n'est en effet pas impossible que l'on arrive a décérébrer les chatons sans faire d'inesthétiques tâches avec des bouts de cervelle qui nous auraient échappé) :
"Où commence le vin industriel ? On peut considérer qu’à partir du moment où on introduit une levure industrielle, le terroir commence à s’effacer. C’était la position d’Henri Jayer. On peut penser que le vrai vin de terroir est le « vin nature », issu des pratiques bio-dynamiques qui ne mettent aucun intrant de chimie de synthèse dans les sols et pas de soufre en vinification."Pas de soufre, que des levures du cru ?
Bonne nouvelle pour les Brettanomyces, ces grandes garantes du terroir et de l'expression de sa pureté minérale !
Bref : à mon sens Jacky Rigaux est dans la posture et c'est bien sûr une posture d'une absurdité totale !
Au nom de quoi une levure, parce qu'elle se trouve à un moment donné sur un raisin / sur une feuille / dans un intestin de guèpe (sur le sujet lire par exemple : Stefanini et al. 2012. Role of social wasps in Saccharomyces cerevisiae ecology and evolution. Proceedings of the National Academy of Sciences 109(33), 13398–403.) / une lame de sécateur / un dépôt d'acide tartrique dans une cuve mal nettoyée ... bref pourquoi cette levure serait elle, par le seul fait de sa présence "naturelle" en un moment donné sur un coin donné d'un terroir donné la plus à même de révéler ce que nous qualifions culturellement d'expression de ce terroir (et de sa minéralité) ?
S'ensuivent quelques déclarations à, entre autres, portée historique :
"On peut également penser que le soufre, maîtrisé depuis l’époque gallo-romaine, utilisé en dose minimaliste, ne perturbe pas l’expression du terroir. Quoiqu’il en soit, dès que l’on injecte des levures industrielles et de la gomme arabique, le terroir commence sérieusement à s’effacer au profit de l’expression industrielle du vin !"Sur la vision historique du soufre en œnologie, je renvoie le lecteur intéressé à mon billet "je soufre en silence" dans lequel je défends une thèse très différente de celle de Jacky Rigaux quand il dit la maîtrise du soufre depuis l'époque gallo-romaine.
Quant à l'effacement du terroir devant la puissance infinie des levures industrielles (je tiens, au passage, à signaler que l'expression "levures industrielles" est, au mieux, bien malhabile au pire bien malhonnête), il existe une foultitude de publications qui, directement ou indirectement, battent cette idée en brêche.
Puisque Jacky Rigaux se cite je vais aussi me citer :
- Une histoire des levures œnologiques. Revue Française d'Œnologie, n°201, pp. 22-23. juillet 2003
ou bien, pourquoi pas - même si ce n'est pas le sujet visible en première lecture - :
- Elevage des vins rouges sur lies fines : choix de la levure fermentaire et ses conséquences sur les interactions polysaccharides pariétaux / polyphénols. Revue Des Œnologues, n°104, pp 20-22. 2002
Bon, ceci dit, quand on lit la phrase par laquelle je suis venu à ce billet :
"Les avancées scientifiques viendront peut-être de la bio-dynamie qui a davantage de proximité avec la physique quantique qu’avec l’œnologie. Que la matière se transforme en énergie n’est pas un problème pour ces disciplines, et rien n’empêche de penser que la dimension minérale du vin provient davantage de son énergie que de sa matière organique …"on se dit que oui, en effet, il ne manquait que la physique quantique (et peut-être aussi la thermodynamique ?) pour décerner à ce délicieux : "La minéralité dans le vin : mythe ou réalité ? Une approche épistémologique" le prix spécial du jury dans la catégorie "enfumage de haute volée".
Voilà, grâce à Jacky Rigaux, sa physique quantique, sa transformation de la matière en énergie et sa dimension minérale du vin qui vient de son énergie j'en viens moi aussi à la pratique intensive des seuls liquides minéraux.
Car c'est à pleurer de rire.
Pleurer de chaudes larmes au goût salin et très minéral ...