Point d’orgue de notre périple dans les
Hauts-de-France, nous voilà dans le hameau de la Grenouillère, sis à la Madelaine sous
Montreuil à quelques pas des chemins empruntés jadis par Jean Valjean. C’est là
qu’Alexandre Gauthier s’est installé, prenant la suite de son père et
transformant l’auberge familiale en un « Relais & Châteaux »
aussi atypique que confortable. Il bénéficie en outre d’une situation
particulièrement attrayante, au bord de la Canche dont les rives ont été
aménagées en un chemin de promenade ou un parcours sportif suivant son courage.
A peine arrivés, nous sommes dirigés vers le
petit salon où une collation nous est proposée : limonade et palets maison.
Une très belle entrée en matière, qui fait idéalement la transition entre le
monde de dehors et celui de dedans, une sorte d’initiation pour franchir la « clôture ».
Puis vient le moment de prendre possession de
nos chambres. Nid douillet quoique spacieux (très spacieux), literie de qualité
et de taille king size, équipements haut de gamme, salle d’eau majestueuse, …
même si la décoration nous semble un peu trop sombre, mais nous sommes dans le
détail.
Un peu de marche au calme et dans la sérénité
des berges ne peut pas faire de mal avant le repas. Voici donc quelques vues de
l’endroit.
Arrive enfin le moment de pénétrer dans le
restaurant. Après un apéritif servi au salon, avec une foultitude d’amuses-bouche
visant à attiser nos sens (et c’est réussi, notamment avec une asperge crue et
sa sauce moutardée), nous arrivons dans la salle de restaurant qui fait la part
belle au modernisme, avec une association heureuse du métal et du verre (sorte
de « Halle Baltard » revisitée), et du cuir comme revêtement sur les
tables.
Passons aux choses sérieuses, avec un menu
unique constitué de 11 plats en ce mercredi soir.
Navet, langoustine …
Pour l’allergique que je suis, un Bonbon concombre ...
Maquereau rafraîchi, petits pois …
Blinis de lait entier, tourteau …
Même tarif, même punition, une composition Fleurs et racines ...
Asperges vertes rôties …
Câpres, araignée géante …
Chou, céleri, truffe …
Artichaut, vanille …
Agneau de lait, laitue braisée,
oseille …
(le gourmand avait commencé à manger)
Rhubarbe, bouleau …
Fraise, cerfeuil perpétuel …
Cacao, amandes, vinaigre cristal
…
le tout agrémenté de quelques surprises ou intermezzos
comme « couteau, blanc d’œuf, farine de sésame », « fleurs d’asperges
et crème de stilton », « boulette de poulet rôti » (une sorte de
guimauve au goût de poulet rôti dans laquelle on a l’impression de croquer la
peau grillée du poulet : ah, ces souvenirs d’enfance), et un
« rayon de
miel de St Denis »
Cuisine
de très haute volée, assez originale mais pour laquelle les associations
fonctionnent à merveille. Mentions spéciale pour ma part au Maquereau (une
sorte de Sashimi revisité à la mode bretonne !), les asperges vertes, les
câpres (et oui !), l’agneau d’une tendreté et d’un fondant superlatifs …
et l’ensemble des desserts. « Entre plats » de très haut niveau
également. Seul l’association artichaut / vanille était en deçà.
Service
jeune, décontracté mais précis et de haut niveau, sommelière à l’écoute et de
bon conseil (la prochaine fois, je me laisserai tenter par le forfait 4 verres,
dont un Trousseau sur l’araignée : il fallait oser !). Point
complémentaire, la cuisine est totalement ouverte sur la salle, et nous
assistons tout au long du repas au ballet des préparations, le tout dans un calme
et une maîtrise totale du geste, sous la houlette d’Alexandre Gauthier.
Pour
accompagner le repas, nous avons donc choisi :
En
apéritif, un Montagny 2016, Bouchard
Père et fils : un vin simple, plutôt floral, avec
une rondeur équilibrée par une fine acidité. Plaisant et frais mais pas
transcendant ! Bien (ma
réflexion toute personnelle : il semble que certaines appellations
communales n’aient pas le même potentiel que d’autres, à moins qu’il s’agisse d’un
effet « négoce »).
Avec les 7 premiers plats,
un Rully,
premier cru Grésigny vieilles vignes 2014, Vincent Dureuil-Janthial :
voilà un chardonnay qu’il est beau ! Le nez est classique du cépage, sur
les amandes, une touche grillée, l’ensemble étant très élégant. Un élevage « juste »
transparait. En bouche, le vin est serré, avec une belle acidité élégante, un
toucher salivant et vibrant. Beaux amers sur une finale très vineuse. On a bien
affaire à des vieilles vignes.
Au
cours du repas, et avec la succession des plats, le vin n’aura de cesse que d’évoluer,
et toujours dans le bon sens. Quelques exemples. Avec le maquereau, regain de gras et de puissance, apparition d’une
salinité gourmande et renforcement des amers. C’est, à mon avis, l’accord
majeur. Avec les fleurs et racines (à
la place du tourteau pour moi), l’équilibre reste similaire, même si on perçoit
une acidité plus marquée et plus tranchante. Avec les asperges (puis les câpres), étonnamment, le vin devient
plus serré et presque « tannique » sur la finale, sans être marqué
par l’amertume des asperges (qui se marient bien et renforcent le côté amers
nobles). Avec le chou, le céleri et la
truffe, le vin évolue sur un registre beaucoup plus minéral et tendu, sur
la pierre à fusil, m’évoquant plutôt les Puligny.
Conclusion
sur le vin : Excellent (+)
Avec l’agneau, un
Bourgueil, les
Perrières 2011, Catherine et Pierre Breton : joli nez sur un
fruit encore bien net et éclatant, perception d’un fruit récolté à juste
maturité, une pointe de « grain tannique » transparaît déjà. Notes
sur les cerises noires et le kirsch. En bouche, du caractère, un grain tannique
juste comme il faut, une acidité bien placée et pratiquement intégrée, un
véritable cabernet franc bien mur. Très
Bien +
Puisque
nous sommes raisonnables, pas de vin de dessert, mais le CF se tenait encore
bien devant les fraises, sans provoquer toutefois un accord exceptionnel.
Découverte
de ce double étoilé avec une confirmation que la table d’Alexandre Gauthier
tutoye les sommets. Une cuisine extrêmement originale dans laquelle des plats d’anthologie
sont aujourd’hui dignes d’un trois-étoiles : le maquereau, les asperges,
les câpres, l’agneau et les trois desserts proposés ce soir. Seul bémol, l’association
artichaut / vanille trop étouffée, un peu « molle » et manquant de
caractère.
En
conclusion, la Grenouillère constitue une très grande adresse que je recommande
très fortement.
Bruno