Avertissement :
Ce billet est le premier d'une série de trois dans laquelle je me propose d'aborder la question de l'acidité volatile du vin sous différents aspects.
Je tiens à remercier les quelques personnes qui ont bien voulu le lire et le relire durant son élaboration, pour me permettre de l'améliorer.
L'acidité volatile (AV) d'un vin est la somme des acides de la série acétique qu'il contient.
Autrement dit : c'est ce qui, à force d’accumulation, fait qu’un vin n’est plus un vin mais est devenu du vinaigre.
Le plus souvent, en France, on l’exprime en g/l d'acide sulfurique (H2SO4), mais les milli équivalents par litre (me/l) sont l'unité recommandée. Dès lors, par la suite je ne donnerai plus que les valeurs en milli équivalents.
Pour mémoire : on multiplie l'AV en g/l H2SO4par 20.41 afin d'obtenir la valeur en me/l.
Ainsi, 0.98 g/l d' H2SO4=20 me/l, et il s'agit de la valeur au delà de laquelle on considère qu'un vin rouge n'est plus marchand.
L'Organisation Internationale du Vin (OIV) définit la méthode OIV de dosage de l'acidité volatile (= la méthode officielle) et indique qu'elle a une répétabilité de 0,7 me/l , et que sa reproductibilité est de 1,3 me/l.
De quoi s'agit-il ?
- répétabilité = la différence maximale qui peut être observée lorsque le même laboratoire dose le même échantillon selon la même méthode.
Si un laboratoire dit : "10 me/l" il pourra, sans se déjuger, donner une valeur comprise entre 9.3 et 10.7 lors d'une autre analyse.
- reproductibilité = la différence maximale potentiellement observée si deux laboratoires différents dosent le même échantillon selon la même méthode.
Ainsi, si un second laboratoire dose le même échantillon avec la même méthode, pour toute valeur comprise entre 8.7 et 11.3 me/l on pourra considérer que l'on parle bien de la même chose.
Je reviendrai sur ceci lors de mes deux prochains billets.
Pour le moment retenons simplement que pour le même échantillon quantifié par la même méthode, le résultat peut varier sans qu'il y ait erreur manifeste du laboratoire.
Retenons également que, toutes choses égales par ailleurs, on s’attend à ce que d’un laboratoire à l’autre la variabilité soit plus importante qu’au sein du même laboratoire.
Bien sur ceci est posé en sachant que l'on peut également observer des différences dûes à une erreur de manipulation de l’opérateur, à des lots qui ne sont pas homogènes (= dès le départ toutes les bouteilles n’ont pas le même niveau d'AV) ou pas stables (les dosages se font à des moments différents et l'AV du vin a évolué dans le temps).Pour être complet on pourra se référer à l’incertitude de mesure annoncée par le Laboratoire Dubernet (le 11/06/2019) pour différentes méthodes analytiques de l'AV.
Mais d’où vient l'AV ?
Normalement dans le jus de raisin frais il n'y a pas d'acides volatils (ou seulement des traces), car avec des raisins sains ils ne commencent à se former que sous l'action des levures, lors de la fermentation alcoolique (FA).
L'acide acétique est le principal acide volatil (il représente 95% de leur total). Il se forme dès le début de la FA, en parallèle à l'éthanol, à condition qu'il y ait ne serait-ce qu'un peu d'oxygène.
Gardons quelques valeurs chiffrées en tête :
On considère généralement qu'après FA et en l'absence d'attaque bactérienne, la teneur normale d'un vin en acides volatils est de l'ordre de 4 à 6 me/l.
Notons qu’une FA en présence d'air, avec des levures qui ont une forte intensité respiratoire, peut entrainer une importante production d'acide acétique.
Ajoutons qu'après fermentation malolactique (FML) l'AV peut monter jusqu'à 8 ou même 10 me/l. Mais il y a bien sur des vins finis ayant des niveaux d'AV nettement inférieurs.
Ce n'est pas la FML proprement dite qui est la cause de cette hausse finale, car dégrader l'acide malique en acide lactique ne crée pas d'AV. Il s'agit de l'attaque de l'acide citrique par les bactéries lactiques, en fin de FML (Chauvetet Brechot (1982)).
Celle-ci peut en effet s'accompagner d'une montée d'AV, mais ce n'est pas obligatoire : c’est, entre autres facteurs, fonction de la souche de bactérie (certaines sont incapables de dégrader l'acide citrique).
Au chai, le praticien doit garder à l'esprit que divers facteurs entrainent des hausses d'AV : faible turbidité, forte température de FA, forte présence d’azote minéral, anaérobiose totale … (Francoise Larue (Viti, 1993, 36-38) etC.Delfini et F. Cervitti (Vitic. Enol. Sci., 1991, vol.46, 142-150))
Sur la même thématique voir, par exemple, Taillandier & al. (2007), une publication dans laquelle nous montrons que le niveau d’AV après FA varie selon divers facteurs contrôlables par le praticien :
- la souche de levure de vinification (de 1 à 10 dans le tableau ci dessous)
- la température de FA (1 à 6 fixée à 18°C, 7 à 10 fixée à 28°)
- le niveau de ressource azotée (ici : 120, 190 et 290 mg/l).
Dans nos conditions epérimentales, le taux de sucres fermentescibles était de 240 g/l (= 14°5 potentiels).
Effect of ammonium concentration on alcoholic fermentation kinetics by wineyeasts for high sugar content
Felipe Ramon Portugal, Patricia Taillandier, Pierre Strehaiano, André Fuster, Food microbiology, Vol. 24, Nº 1, 2007, pages. 95-100
Du point de vue du comportement des levures, la littérature nous apprend que la production d'acide acétique n'est pas proportionnée à la quantité de sucres et que, en outre, consommation de sucres et formation d'acide acétique n'évoluent pas de façon linéaire.
En effet, l'AV augmente en début de FA avant de diminuer par la suite.
Ceci explique pourquoi il est possible de réduire l’AV d’un vin qui a subi une trop forte "montée de volatile" ... en le mélangeant dans les bonnes proportions à un mout en fermentation !
Attention :
cette pratique n'est pas envisageable dès lors que l’AV dépasse le seuil légal. Et, sauf indication contraire de telle ou telle ODG, cette valeur maximale est fixée à 18 me/l pour les blancs et 20 me/l pour les rouges.
En conséquence de ce qui précède : dès lors que l'AV dépasse 10 me/l on devra envisager une attaque bactérienne (même si dans certains cas bien particuliers Saccharomyces cerevisiae - la levure fermentaire - peut en produire beaucoup).
Pour l'essentiel il s'agira de la piqure acétique, qui nécessite la présence simultanée :
- de bactéries acétiques (Acetobacter aceti),
- d'alcool éthylique (mais pas trop, car l'alcool inhibe Acetobacter),
- d'air,
- ainsi qu'un pH au moins égal à 3.2 (les bactéries n'aiment pas l'acidité).
En outre, plus la température est élevée, et plus la production d'AV sera rapide.
Nota :
- il existe d'autres maladies bactériennes entrainant une production d'acide acétique, je ne ferai que nommer les deux principales : piqure lactique, et maladie de la tourne (que j'ai déjà évoquée, sous ses aspects tant historiques que techniques, dans un précédent billet).
- les bactéries acétiques sont relativement résistantes au SO2 qui ne saurait donc être la panacée en cas d'attaque avérée (en particuler avec des vins dont l'acidité est basse). Autrement dit : comme bien souvent les actions préventives (hygiène de la vendange, hygiène du chai, protection contre l'oxygène, ...) sont essentielles au maintien de l'AV à des valeurs acceptables.
Il est important de noter que la présence excessive de bactéries acétiques - donc d'acide acétique - s'accompagne le plus souvent de celle d'acétate d'éthyle : les bactéries acétiques transforment l'éthanol en acide acétique, puis forment de l'acétate d'éthyle à partir de l'éthanol du vin et de l'acide acétique qu'elles ont produit.
L'acétate d'éthyle est un ester éthylique qui se forme à partir d'éthanol par réaction avec l'acide acétique, et ce dès lors que la teneur de ce dernier dépasse 10 à 15 me/l.
Cet ester a un seuil de perception assez bas : de l'ordre de 100 à 150 mg/l. Il se manifeste par une odeur très désagréable (solvant, vernis à ongles), qui est caractéristique de la maladie de l'acescence (= la transformation du vin en vinaigre).
Tout ceci étant posé, qu’en est-il du cas concret qui motive cette série de billets ?
C'est à suivre dans le prochain épisode :
"La volatile est à 20"