Sur ce blog, très (trop ?) régulièrement je me laisse aller à divers commentaires ironico-acides portant sur la biodynamie dans le vin et ce qui se dit de ses tenants et aboutissants.
J’ai la faiblesse de trouver ça distrayant.
Dans ce billet il ne s'agira pourtant pas de viticulture, ni même d'agriculture. Je ne reviendrai pas davantage sur ce qui m’insupporte dans cette histoire : la croyance en la prééminence des étoiles qui dicteraient ce que nous sommes, ce que nous deviendrons ... et même comment nous allons goûter le vin.
Non.
Mon propos sera, ici, de constater que la biodynamie est une hydre dont les têtes hideuses poussent en bien des directions.
Et que c’est somme toute assez drôle.
Quoique … au premier abord c’est en effet plutôt amusant de lire les revendications diverses et variées qui sont censées éclairer le grand public (et le futur consommateur). Mais, in fine, ça me fait méchamment flipper tant cela témoigne de la disparition de l’esprit critique et de la prise de pouvoir des croyances sur la raison.
Échantillonnage des dernières trouvailles des savants flous de la biodynamie.
Commençons par le béton biodynamique dont on nous dit que :
« Pneumatit restaure le lien du matériau béton avec les flux de la vie, comme lorsque le sang circule à nouveau dans un membre engourdi. Voilà pourquoi le béton avec Pneumatit a un effet bienfaisant et stimule les processus physiologiques humains. »
Voila.
Le béton qui stimule les processus physiologiques humains.
J’adore.
pas moyen de retrouver où j'ai bien pu
trouver cette photo :-(
si vous savez je corrige ...
"« Ils ont bâclé le travail : il y avait de l’air dans le béton, c’est pour cela qu’il est remonté à la surface. »
Les policiers"
Rendons à Jules ce qui est à César : j'ai découvert le béton biodynamique dans le numéro 330 de "Science & pseudo-sciences", la revue de l'afis (lecture hautement recommandable). L'article est également consultable sur le site internet de l’association (dont je me félicite d’être membre)
Je ne vais pas faire ma Juliette Gréco, mais il y a un lien évident entre le petit poisson des profondeurs aqueuses et le petit oiseau du ciel lumineux.
Oui : la biodynamie !
Figurez-vous qu’au-delà du béton et de l’immersion de tel ou tel caïd, il y a en effet l’éclairage biodynamique.
La chose se trouve en divers endroits sur Internet :
De quoi s’agit-il ?
Quand l’un nous dit que :
"L'éclairage biodynamique (Human Centric Lighting) permet de renforcer durablement le bien-être des employés, en particulier dans les bureaux peu alimentés en lumière naturelle ou durant les mois d'hiver, quand l'horloge interne est peu synchronisée avec la lumière du jour."
L’autre ajoute que :
"L’objectif principal des éclairages biodynamiques est d’améliorer le quotidien des personnes et leur bien-être. En imitant les variations de la lumière naturelle au cours de la journée, l’éclairage biodynamique aura un effet dynamisant en début de journée, propice à l’activité, et favorisera le repos et le sommeil en fin de journée. Basés sur la température de couleur que l’on mesure en degré Kelvin, les éclairages biodynamiques ont la capacité de changer de couleurs dans la journée pour se rapprocher au mieux des variations de la lumière naturelle. Dans la lignée des objets connectés, l’éclairage biodynamique est une solution intelligente respectueuse de l’homme et de son rythme biologique."
Voilà, le matin on allume, le soir on éteint et entre les deux on mesure en Kelvin.
C’est rassurant les températures de couleur et le Kelvin (en tous cas plus que le Kévin), car ça donne un air de science à tout ce fatras.
L’homme, son rythme biologique, tout ça ...
Bon, même illuminé et entouré de béton qui stimule les forces de vie, l’homme à besoin de se nourrir.
Alors quoi de mieux qu’un restau ?
En outre, nous sommes en Gaule et un tour d'horizon, comme un tour de Gaule, s'achève nécessairement par un grand banquet sous les étoiles.
Voire même un banquet au cours duquel on comptera les étoiles (du chef).
"Le tour de Gaule". (c) Dargaud |
Le chef, c'est Mauro Colagreco.
Il officie à Menton et s'est vu attribuer 3* au Michelin ainsi que le titre de "meilleur restaurant du Monde" (en 2019) par la revue britannique Restaurant.
Le concept qui prévaut à la nomination des 50 meilleurs restaurants du monde me laisse perplexe. Doux euphémisme.
Mais mon propos n'étant pas là j'enchaine directement avec les dernières facéties du chef.
De multiples articles s'émerveillent de la chose. Je n'en citerai que quelques uns :
- chez foodandsens
"Comme si il en était besoin, le chef Mauro va donc suivre le calendrier lunaire, pour réaliser une cuisine basée sur la biodynamie."
Ouaip : comme s'il en était besoin.
Car selon le chef :
"Le contact direct avec la terre continue à nous révéler l’énorme dimension collective qui existe dans l’univers. Nous avons constaté l’influence des astres sur les plantes, la façon dont tous les êtres s’entraident et nous avons trouvé en ce constat une source précieuse d’inspiration pour aller encore plus loin dans notre concept. Venez découvrir notre Univers Mirazur rythmée par les déclinaisons du calendrier lunaire et laissez-vous guider par vos sens !"
Tandis que Foodandsens fait part de ses réserves, le Figaro humorise à propos de M Colagreco :
"Habitué à travailler seize heures par jour, mal luné, il réoriente donc sa débordante énergie sur ses jardins."
L'approche de France3 (j'ai l'obligation légale de participer à son financement et m'en réjouis chaque jour un peu plus) est quelque peu différente :
A propos de la biodynamie ?
"Ce sont les bases de l'agriculture biologique, le respect de la terre, des plantes, la connaissance des cycles du soleil, de la lune, des planètes. Une approche que l'on appelle désormais la "biodynamie" et qui consiste à retenir que la terre est un tout."Je dirais même que tout est dans tout, et inversement.
Et que ce genre de sornettes est la base du grand n'importe quoi.
La connaissance du cycle du soleil et des planètes ?
sans déconner ...
En venant aux légumes, l'article cite M Colagreco qui, désormais, propose donc - selon le calendrier lunaire - des "univers" feuille, fleur, racine ou fruit car :
"Selon la phase de la lune, l'énergie de la plante va se concentrer plus dans la racine, dans la feuille, dans la fleur ou dans le fruit. Et gustativement, c'est très fin et il faut un palais très développé pour noter la différence. Respecter la nature, revenir aux cycles de la nature, c'est essentiel !"
On attendra en vain toute réserve du journaliste ou même une simple tentative d'amorce d'esprit critique quant à ce qui est affirmé sur l'effet d'un horoscope quand on en vient au goût du navet et de la betterave ...
J'en termine avec le Huffigton Post :
Dès l'entame on nous y informe que :
"Le repas dans le “meilleur restaurant au monde” est désormais conçu autour de fleurs, fruits, feuilles ou racines, selon les phases de la lune."
L'argument d'autorité en forme de "meilleur restaurant du monde" permet de scier le débat à la racine. Même en jour fruit.
Et on précise, au cas où nous en aurions douté que :
"Sa fameuse betterave cuite en croûte de sel au caviar osciètre “pourrait avoir une place dans le menu des racines”"
Mais :
"Dans le service “floral”, le thème est présent dans les parfums et le dressage comme dans la “Fleur de gamberoni, pétales de rose, rhubarbe et lait d’amande”."Ce qui me semble un peu dangereux.
Personnellement je mettrais bien la rhubarbe en jour feuille et le lait d'amande en jour fruit.
Je crains donc que l'équilibre et l'harmonie du plat ne s'en ressentent.
En outre, il me semble très optimiste d'annoncer :
"Un mille-feuille aux algues avec des plantes du jardin apparaîtra sur la carte le jour des “feuilles” pour accompagner l’agneau des Alpes Maritimes."Les algues sont-elles des feuilles ?
Ca doit pouvoir se discuter et, donc, remettre en cause la légitimité et la qualité de ce plat.
Mais il n'est plus temps de hurler à la Lune : j'ai un parmentier de joue de boeuf à la patate douce à finir de préparer pour Daniel et Isabelle qui viennent manger, ce soir.
J'espère que nous sommes en jour racine ...
(penser à régler l'éclairage)
"La serpe d'or" (c) Dargaud