Il y a deux ans sortait "En Magnum" #12.
Sous le chapeau
"le bio peut-il sauver le monde ?"
on trouvait mon papier "la farce cachée des pesticides".
Les meilleures blagues sont les plus courtes, or celle-ci n'en finit pas de durer.
Le nouvel épisode s'intitule :
(Soyez indulgents : tout le monde ne peut pas avoir fait l'école du titre !
A ce propos : l'à peu près qui me sert de titre et évoque "la puissance verte" est inspiré d’une saillie, brillante, d’Alain Deloire).
Que nous dit-on, dès l'entame ?
"L’objectif de cette campagne d’analyses de résidus de pesticides dans les vins est de mesurer les écarts entre le marketing, les annonces, les promesses et la réalité des pratiques professionnelles.
Ces analyses apportent aussi un décryptage aux consommateurs non avertis et mal informés qui pourraient se laisser duper par une certification qui ne fournit aucune garantie, tout comme les grandes annonces, promesses de changements récurrents."
OK : on va donc taper sur ceux qui ont eu le tort de s'afficher et causer. Mais ça se fera dans le but d’informer le consommateur non averti. Ce sera donc didactique, clair et informatif.
Sauf qu’il me semble que ça commence moyennement :
"La vigne consomme 20 % des pesticides utilisés en France – un cinquième des pesticides totaux ! – pour 3,7 % de la surface cultivée. L’impact sur la santé et l’environnement de ces produits relève d’une catastrophe sociétale majeure."
C’est l’une des figures imposées de ce genre d’exercice.
Je l’évoquais donc dans l’article cité plus haut :
« on ne peut décemment décerner de bons et de mauvais points en s’intéressant au seul tonnage total, sans à aucun moment se préoccuper ni des molécules concernées (donc leur toxicité et leurs conditions d’élimination), ni de la surface cultivée (plus un pays ou une région se consacre à l’agriculture [sans doute aurais-je dû écrire « monoculture »] et plus on est susceptible d’y utiliser de grandes quantités de pesticides). D’autant que substituer la bouillie bordelaise (produit chimique) à ce qu’il est convenu d’appeler les produits de synthèse peut très classiquement mener à une augmentation significative des tonnages utilisés. ».
Bref : l’approche pondérale est absurde, en particulier quand elle confond allègrement produits « bio » et « de synthèse ».
Ensuite vient cette tirade :
« Rappelons qu’en France, le vin est l’unique produit de consommation qui n’est pas sous le coup d’une obligation légale d’afficher sa composition sur son étiquette. Il faut également savoir que si le vin, comme tout autre produit agro-alimentaire, se retrouvait dans l’obligation d’indiquer la liste des ingrédients sur la contre-étiquette, beaucoup de bouteilles n’auraient pas la place de tout inscrire… Une cinquantaine de produits sont légalement autorisés à être ajoutés, pour permettre aux vignerons de modifier leur vin. De plus, contrairement à tous les produits destinés à l’alimentation (fruits, légumes, eau…), il n’existe pas d’obligation légale de respecter des limites maximales de résidus de pesticides (LMR) pour le vin en bouteille. En viticulture, la seule LMR qui existe est celle sur le raisin de cuve, c’est-à-dire le raisin vendangé. »
Ca aussi c’est une figure imposée largement inepte. Car elle confond et mélange tout et n’importe quoi.
Peut-être est-ce contre intuitif mais c’est ainsi : ce n’est pas parce que l’on ajoute quelque-chose dans le mout ou le vin que c’est forcément un ingrédient.
Ainsi, les produits œnologiques cités à la toute fin du papier que je commente ne sont pas des ingrédients. En effet leur rôle est de fixer les pesticides et de les éliminer quand ils seront eux-mêmes retirés de la cuve.
Alors qu’un ingrédient fait partie intrinsèque du produit final.
On peut bien penser ce que l’on veut de ces auxiliaires de vinification et de leur utilisation, il n’en reste pas moins que ni les levures fermentaires, ni les produits de collage, ni les activateurs de fermentation, ni les bactéries lactiques, etc… ne sont des ingrédients.
Le cas des LMR est plus intéressant et montre que nos amis n’ont, là non plus, probablement rien compris. Ou bien sont de mauvaise foi.
J’en parlais dans ce billet à propos du cuivre (qui est un pesticide) : quelle que soit sa concentration sur et dans les raisins, en fin de vinification il n’en reste pratiquement plus dans le vin (sauf contamination post vinification) et ce du fait de diverses raisons chimiques et microbiologiques.
Cela fait donc sens de fixer des limites sur raisin, avant ces réductions conséquentes.
Quoiqu'il en soit on nous présente la cible :
« Les 22 bouteilles qui ont été analysées ont toutes un point en commun : les propriétés dont elles sont issues possèdent la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) ou affirment se référer à une pratique vertueuse. »On va donc taper sur les faux nez du respect environnemental. Ambiance …
Ambiance et, là aussi, figure imposée : on balance un pavé dans les carreaux de tel ou tel.
Name and shame.
Il importe de discréditer ceux que l’on range dans le camp du mal. Tant mieux si ça pue : ça simplifiera les échanges ultérieurs. Et puis on va pas s'emmerder à discuter avec des gens qui sont pas d'accord avec nous.
« Les effets d’annonce d’une pratique plus vertueuse comme la certification HVE, « Haute Valeur Environnementale » sont un leurre puisqu’elle n’interdit pas les pesticides de synthèse ; les vignerons sont même autorisés à utiliser les plus dangereux tels que les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), Perturbateurs Endocriniens (PE), Sdhis (antifongiques qui bloquent une étape clé de la respiration des champignons, celle assurée par la succinate déshydrogénase (SDH).»Grosse fatigue.
La synthèse c’est mal, on avait déjà bien compris.
Dans « En Magnum »#4 (2016) j’avais écrit « le cosmique de répétition ».
On y trouve ceci :
« Là où, à mon sens, le bât blesse vraiment c’est que refuser par principe les produits chimiques de synthèse revient à se priver de facto des progrès de la recherche. …/…2 ans plus tard j’écrivais ceci dans « En Magnum » #12 :
La chimie verte nous propose des hormones de synthèse et des éliciteurs des défenses naturelles qui sont très largement inspirés de la Nature. Cette même chimie verte mène aujourd’hui à des composés dont les voies de dégradation sont connues et dont les produits de dégradation, eux aussi connus, sont sans effet sur l’environnement. Alors pourquoi s’en priver par principe ? »
« Il faut toutefois se poser la question du recours aux CMR et ce du fait de leur dangerosité. Ces produits ne doivent-ils pas faire l’objet d’une surveillance particulière ? La réponse à ce questionnement ne fait pas grand doute dès lors que l’on se la pose du point de vue de celui qui les prépare et les utilise, ou de l’environnement. Du point de vue du consommateur, c’est peut-être moins évident. Encore une fois la dose (et le devenir dans l’organisme de ce qui a été ingéré) doit être prise en compte pour définir la dangerosité réelle du produit. »
Il est inutile d'y revenir encore car il est plus que temps de commencer à parler des longues colonnes de chiffres de la puissance verte annoncées dans mon titre :
« 4/ Les résultats.Sur 22 bouteilles analysées :
28 substances actives ont été détectées, voir la liste ici.
De 4 à 15 résidus détectés par bouteille, une moyenne de 8 substances actives par bouteille.
22 bouteilles contiennent des PE, entre 3 à 14 par bouteille, une moyenne de 7.36 PE par bouteille.
16 bouteilles contiennent au moins 1 Qosi.
11 bouteilles contiennent au moins 1 CMR ou plus.
9 bouteilles contiennent au moins 1 Sdhis.
4 bouteilles contiennent au moins un neurotoxique.
4 bouteilles contiennent une substance susceptible de nuire au fœtus.
18 bouteilles contiennent une substance mortelle en cas d’ingestion.
18 bouteilles contiennent une substance mortelle par inhalation.
9 bouteilles contiennent une substance mortelle en cas de contact cutané.
3 bouteilles contiennent un néonicotinoïde.
22 bouteilles contiennent des substances dangereuses à toxiques pour les organismes aquatiques, entre 3 à 11 par bouteille.
Une moyenne de 6.18 par bouteille de SA dangereuses à toxiques pour les organismes aquatiques. »
Attends :
« 18 bouteilles contiennent une substance mortelle en cas d’ingestion. »Sans rire ?
Mortel en cas d’ingestion ?
Les 18 vins qui en contiennent sont donc des poisons mortels qui tuent inévitablement ceux qui les boivent ?
De qui se moque-ton ?
Il est temps de voir de quoi il retourne.
Concrètement.
Je ne retiens que deux exemples : le numéro 1 de la liste, donc a priori le pire, et le numéro 8 ex aequo parce que je passe systématiquement devant quand je monte à Pauillac.
"1/ 15 SA détectéesImpressionnante liste qui mérite bien qu’on y jette un œil de plus près.
Château Lauduc
Bordeaux rouge (2018), 15.50 €
14 PE ,1 Qosi, 1 Sdhi, 1 neurotoxique, 1 néonicotinoïde, 1 mortel en cas d’ingestion, 1 mortel par contact cutané, 1 mortel par inhalation, 11 nuisent aux organismes aquatiques."
Tout d’abord une petite explication de texte puisque ceux qui annoncent qu’ils « apportent aussi un décryptage aux consommateurs non avertis et mal informés » ne tiennent pas cet engagement :
- les méthodes analytiques deviennent de plus en plus pointues et sont désormais en mesure de détecter des teneurs extrêmement faibles : dans ce vin on trouve, par exemple, 0,0022 mg/l de Thiamétoxame (ce qui correspond à un peu plus de 5 g dans une piscine olympique. Précision encore inimaginable il y a quelques années).
- il y a toutefois des limites (qui sont appelées à s’abaisser avec les progrès à venir) … en fait deux « limites » :
* la limite de détection (LD) :
en dessous de cette valeur si la molécule recherchée est présente on ne le saura pas.
Quand la LD est atteinte (0.0003 mg/l pour la molécule que je viens d’évoquer, c’est donc extrêmement faible) on sait que la molécule est présente, mais on ne sait pas nécessairement à quel niveau ! Pour savoir la concentration de la dite molécule il faut atteindre
* la limite de quantification (LQ) : à partir de ce seuil (0,001 mg/l toujours pour le Thiométoxane) on peut dire que la molécule est présente et on peut dire combien il y en a (dans les limites de la marge d’erreur spécifique de la méthode et de la molécule recherchée).
Or ici 8 composés sur 15 sont détectés, mais à des seuils inférieurs à leur limite de quantification.
Autant dire qu’il y en a vraiment très peu !
On félicitera donc Dubernet pour sa précision et, juste après, on sera en droit de se demander si ces valeurs sont représentatives des activités viticoles du domaine ou ne peuvent pas avoir une autre origine.
Et les autres composés, ceux qui sont quantifiés ?
Le labo qui a fait ces analyses et que l’on ne peut donc suspecter d’une coupable complaisance commente ainsi cette analyse :
« La présence de plusieurs résidus phytosanitaires a été détectée dans cet échantillon.Faut-il hurler au loup car il y a un composé aujourd’hui interdit, mais autorisé à l’époque ? et une « contamination » à hauteur de 1.4% du maximum légal ?
Les teneurs retrouvées sont très largement inférieures aux LMR respectives, la plus importante ne représente que 1,4% de la teneur maximale autorisée sur raisins de cuve au niveau européen.
L′autorisation d′utilisation du Thiametoxame sur vigne a été retirée en septembre 2018, le composé était donc autorisé sur la campagne 2018 »
1.4% ?
On doit pouvoir en discuter ...
Et mon médocain dont je frôle régulièrement les vignes ?
Est-ce que, ce faisant, je me mets en danger ??
8/ 6 SA détectées ex-aequo :Ici 4 molécules sont à un niveau inférieur à leur limite de quantification.
Château Larose Trintaudon
Haut Médoc cru Bourgeois (2016), 24.98€ [Je ne sais pas où ils l’ont acheté, mais Larose Trintaudon à 25 € la quille : ils se sont fait enfler]
Les deux autres sont à peine au-dessus : Fluopicolide à 0.0015 mg/l pour une LQ à 0,001 mg/l et Fludioxonil à 0,0140 mg/l pour une LQ à 0,001.
Que dit le labo ?
« La présence de plusieurs résidus phytosanitaires a été détectée dans cet échantillon.Vous avez bien lu : au maximum 0.3% de la teneur maximale autorisée sur raisins de cuve.
Les teneurs retrouvées sont très largement inférieures aux LMR respectives, la plus importante ne représente que 0,3% de la teneur maximale autorisée sur raisins de cuve au niveau européen. »
Il n’est peut-être pas urgent de prendre rendez-vous pour la lapidation ?
Nota :
Au-delà de ces deux exemples, si je ne mets pas de témoin bio, biodynamie, nature ou autre ce n’est pas de mon fait. C’est simplement qu’aucun n’est analysé : ne nous dispersons pas, c’est plus simple.
Et plus sûr.
Car vu la précision du labo (Dubernet est clairement le labo de référence, avec des seuils de détection et de quantification extrêmement bas et à même de faire rêver bon nombre de leurs confrères) on ne peut préjuger de ce qu’ils auraient trouvé dans des vins issus du camp du bien …