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Les mots, la vie, les vins.

Par Afust


Qu'est-ce qu'être vivant ?
A minima, c'est : se nourrir, en tirer l'énergie nécessaire pour sa propre croissance et se reproduire.
Une bactérie est vivante, un virus est à la frontière de la vie, un parpaing n'est pas vivant.
Et pas plus un vin qu'un parpaing.
Ou un crâne.

Les mots, la vie, les vins.
Alors, oui, bien sur : le vin évolue.
Et, en effet, il n'est pas figé.
Cela suffit-il à le rendre vivant ?
La forme et la couleur d'un parpaing évoluent sous l'effet de l'érosion, des chocs, de l'action de tel ou tel être vivant.
Pour autant personne n'envisagerait un seul instant d'expliquer les évolutions du parpaing par le fait qu'il est vivant.
Alors pourquoi en irai-t’il autrement pour le vin ?

Un récent billet intitulé "Qu'est-ce qu'un vin vivant ?" est mon déclencheur.
Les mots, la vie, les vins.Que je sois bien clair : pour l'essentiel je partage la teneur de ce billet.
Il n'en reste pas moins que ce questionnement me fatigue.
Et le résultat d'une rapide recherche avec les mots clefs "vin vivant" me consterne.
Tout ceci pour deux raisons bien distinctes :
1. ainsi que je m'en explique au début de ce billet : si l'on se pose deux secondes la question de ce qu'est la Vie, alors de toute évidence le vin n'est pas vivant.
Cela devrait suffire à régler la question. Mais :
2. certains revendiquent - confisquent - cette idée de vins vivants.
Pourquoi ?
Afin de mieux affirmer que si leurs vins de prédilection sont vivants c'est que, fatalement, ceux qui n'ont pas la chance de leur plaire sont morts.
On utilise les mots afin d’asseoir son pouvoir. Donc comme arme contre ceux auxquels on souhaite nuire.
Sur le sujet des mots et de leur pouvoir, du pouvoir qu'on leur prête, on pourra lire le livre dont j'ai détourné le titre afin d'en faire celui de ce billet.
"Les mots, la mort, les sorts" de Jeanne Favret-Saada.
Mon billet aurait tout aussi bien pu être titré "les agités du bocal (du flacon ?)", puisque Jeanne Favret-Saada s'est intéressée au bocage, en Mayenne, et à ces mots qui l'agitent. Donc à la sorcellerie telle qu'elle s'y pratique.
Pourtant dans son livre il n'y a pas trace de sorcellerie à proprement parler, en tous cas telle qu'elle est présente dans notre imaginaire.
De là à conclure à inexistence de la sorcellerie, il n'y qu'un pas pour le lecteur.
Ce pas, J. Favret-Saada ne le franchit pas.
Par peur des mots ?
Car sa thèse est que ce sont les mots qui nouent les sorts. Mais aussi les mots qui les dénouent, ou les détournent.
Alors : sorceleurs et désorceleurs ou thérapeutes ?
Les mots, la vie, les vins.
Parler de vins vivants leur donnera-t'il vie ?
Sans doute pas dans les faits.
Mais indubitablement dans l'esprit de ceux qui écoutent et croient en ces mots.
Aussi dénués de sens puissent-ils être.
Il en va, me semble-t'il, de même avec la confiscation non pas de la Vie mais, cette fois, de la Nature.
Avec les vins "méthode Nature" dont j'évoquais la récente charte dans un précédent billet.
Méthode Nature
Quel beau parfum d'oxymoron que cette association de la Méthode et de la Nature.
Dans "Le Discours de la Méthode", Descartes a cette phrase largement répétée depuis :
« le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont»

Et sans doute le bon sens est-il le vrai sujet de ce billet ?
Non, pas ce maudit "bon sens paysan" sans cesse ânonné par tant de partisans des vins vivants et/ou nature ! Ou bien quelle est donc l'étape suivante, l'"intuition féminine" ?

Quant à la Méthode et à la Nature :

Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées  sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes.
Car elles
m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.
Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie
.”
Descartes, Discours de la méthode (1637), 6e partie

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