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Informer le consommateur : les étiquettes et l'éthique.

Par Afust

Dans son numéo de Mars 2022, la RVF se penche sur la réforme de l'étiquetage des vins, et nous promet "les dessous du compromis de Bruxelles".
Le sujet est intéressant, et important pour la filière vin. Aussi ais-je acheté la revue et lu l'article, malgré son titre racoleur.

Informer le consommateur : les étiquettes et l'éthique.

Oui : un titre qui fleure bon la dénonciation d'accords douteux et la révélation de secrets.
Des compromis ?
Probablement s'agit-il de compromissions !
Ou pas.
Car qu'en est-il vraiment de ce papier et de ses révélations ?
Ça attaque fort :

"A la différence des produits alimentaires préemballés comme le beurre, les biscuits ou l'eau minérale, les étiquettes de vin ne détaillent pas les additifs ou ingrédients allergènes éventuellement employés.".


Ainsi, les étiquettes des eaux minérales détailleraient les additifs et ingrédients allergènes contenus ?
Sans déconner ... il y aurait des additifs ou ingrédients allergènes dans les eaux minérales ?
Et la marmotte, elle est allergène ?
Car avez-vous vu ce genre de chose sur une bouteille d'eau minérale ? moi jamais.
Quant aux étiquettes de beurre, elles indiquent la valeur nutritionnelle du dit beurre et son taux de vitamine A ... qui n'est ni un additif, ni un ingrédient, et encore moins un allergène.
La vitamine A nous est indispensable, et le beurre est la seule matière grasse à en contenir naturellement.
Sinon, le premier ingrédient du beurre c'est le lait.
Et le lait contient du lactose et de la caséine ... des allergènes qui, n'en déplaise à la RVF, ne sont pas mentionnés sur les étiquettes de beurre.
Le pire est sans doute que la RVF fait, ici, la preuve de sa profonde méconnaissance des règlements qui régissent le monde du vin.
C'est dommage quand on est, justement, la Revue du Vin de France et que l'on commente les dits règlements afin d'informer les consommateurs !
Car la présence d'allergène est, de longue date, obligatoirement mentionnée sur les étiquettes de vin !
En effet :
- la mention de la présence de sulfites (au delà du seuil de 10 mg/l) est obligatoire depuis le 25 novembre 2005.
- dès lors que des allergènes
(caséine de lait ou albumine d’œuf) ont été utilisés, le règlement européen 579/2012 (adopté le 30 juin 2012) impose la mention de leur présence sur l'étiquette de tous les vins à partir du millésime 2012, ainsi que pour tous ceux qui ont été étiquetés après le 30/06/2012 (sauf si une analyse prouve que ces composés ne sont pas détectés dans le vin, le seuil de détection étant de 0.25 mg/litre de vin).

Je trouve regrettable que la RVF ignore que les règlements dont elle déplore l'absence ... sont en vigueur depuis 10 à 20 ans.
Et à part les allergènes ?

"un consommateur curieux doit pouvoir trouver, en lisant la contre-étiquette, la liste des enzymes, des acides (tartrique, citrique, sorbique ...), des gommes, des protéines animales et autres sulfates utilisés dans le vin qu'il achète.".
Hop, hop, hop : il va falloir se mettre d'accord ! Et le faire très vite et très clairement.
De quoi s'agit-il donc ? de lister ce qui est dans le vin, ou bien de lister ce qui a été utilisé pour transformer le jus de raisin en vin ?
Car ce n'est pas du tout la même chose !
Je reviens donc sur ce qui illustre le propos de la RVF ... sachant très bien que, ce faisant, je m'expose à l'habituelle cohorte des reproches en mode :
- "c'est long, chiant et pédant"
Ben oui c'est long. Forcément ! Forcément, car répondre à une niaiserie et le faire de façon fondée et argumentée est toujours beaucoup plus long et beaucoup moins sexy que proférer la dite niaiserie.
Et si dire ce que sont l'état des connaissances et des règlements c'est être pédant, alors je le suis.
- "il extrait des morceaux de texte et après il commente".
Ben ouais, absolument.
Car je suis convaincu que c'est ainsi qu'il faut procéder si l'on veut être un tant soit peu crédible et sérieux.
- "il commente mais, surtout, il se moque. C'est désagréable".
Pédant et moqueur. L'histoire de ma vie. Mais je tiens à faire remarquer que je n'ai obligé personne à énoncer les âneries que je dénonce. En pouffant.
Bref, reprenons la visite commentée :
Les enzymes ?
Les enzymes, le raisin en est farci (comme tout ce qui est vivant). Et il y en a dans le vin. Naturellement.
Mais, en effet : on peut en rajouter. Par exemple pour aider au pressurage, ainsi qu'à l'extraction du jus, de la couleur et des précurseurs d'arômes, ou bien encore pour clarifier le moût et le vin.
Les enzymes sont des protéines dont la durée de "vie" dans le vin est tellement courte que celles que l'on ajoute ne seront plus présentes dans la bouteille.
On me permettra donc de douter que le "consommateur curieux" tienne mordicus à trouver sur la contre étiquette la mention d'auxiliaires de vinification dont le passage dans le moût ou le vin a été particulièrement fugace et qui, en outre,
y sont naturellement présents.
Les sulfates ?
La référence aux sulfates est doublement intéressante.
Tout d'abord parce que, pour une fois, on ne nous parle pas de ces maudits sulfites. Ce qui change agréablement, sauf bien sur s'il s'agit d'une faute de frappe. Ce que l'on ne peut pas totalement exclure.
Ensuite parce qu'il y a deux ou trois choses à en dire.
Alors soit : parlons des sulfates.
Si la mention sur l'étiquette de la présence de sulfites (au delà de 10 mg/l) est obligatoire, il n'y a rien sur les sulfates.
Mais que sont les sulfates ?

Ce sont des composés présents dans de multiples produits, dont l'eau minérale évoquée plus haut ... et dans laquelle ce ne sont ni des additifs, ni des auxiliaires : dans l'eau minérale ils découlent
de la dissolution du gypse (sulfate de calcium).
En œnologie, les sulfites proviennent de la vigne ou, bien sur, des ajouts faits lors de l'élaboration du vin.
Et, dans le vin, les sulfites s’oxydent naturellement en sulfates.
Nota :
avant la vinification, quid du sulfate de cuivre (aka la bouillie bordelaise), le fongicide bio (qui est loin de n'être utilisé qu'en bio) ? Faut-il aussi le mentionner sur l'étiquette ?
Notons à nouveau que si l'on concluait du papier de la RVF qu'il y a un vide réglementaire en ce qui concerne les sulfates dans le vin ... on aurait tort !
En effet, l’OIV indique deux LMA (Limites Maximales Acceptables) pour les sulfates :de 1 g/L à 1,5 g/L selon les types de vins. En outre le Brésil impose un dosage des sulfatessur les vins destinés à y être importés.
Les acides
(tartrique, citrique, sorbique ...) ?
- Acide tartrique et acide citrique sont des acides naturels du raisin (dans le règne végétral, seule la vigne sait fabriquer du tartrique).
Il y a donc toujours de l'acide tartrique dans le vin, c'est même son acide principal !
Il peut aussi y avoir de l'acide citrique dans le vin (si les bactéries lactiques ne l'ont pas dégradé).
Et l'un et l'autre peuvent y être ajoutés.
A mon sens, on touche là à l'un des problèmes de fond de la règlementation qui se prépare et des discussions qu'elle provoque.
Je m'explique : au nom de l'information du consommateur, certains demandent que l'on indique la présence d'acide tartrique dès lors que cet additif a été ajouté.
Ça se conçoit.
Ce que, en revanche, je ne comprends pas c'est pourquoi il faudrait obligatoirement indiquer la présence d'acide tartrique quand on en a ajouté, alors que l'on pourrait ne pas évoquer sa présence lorsqu'on n'en a pas ajouté, bien qu'il y en ait autant. Voire plus.

Quel sens y aurait-il à n'indiquer la présence d'un produit constitutif du vin que lorsque ce produit a été ajouté ?!
Est-ce celà informer le consommateur ?
- acide sorbique.
En fait on utilise non pas de l'acide sorbique mais son sel : le sorbate de potassium. Il permet notamment de réduire la dose de sulfites mais présente quelques limites techniques et des risques qualitatifs. Je ne m'étends pas sur ce sujet, technique, qui n'amènerait rien de plus, ici.
C'est un additif qui est interdit au Japon, qui est relatiement peu utilisé et dont on doit pouvoir se passer.
Dans la mesure ou s'il y en a dans le vin c'est qu'on en a ajouté, je ne vois pas de raison de ne pas le signaler au consommateur (ce qui devrait de facto signer l'arrêt de mort de ce produit).
Les gommes ?
Différentes gommes sont utilisées en
œnologie, parfois de façon très ancienne.
Je ne vais pas entrer dans les détails techniques du pourquoi et du comment de leur utilisation (mais suis prêt à en parler à tout lecteur qui en ferait la demande).
Disons simplement que ce sont des additifs (= on les utilise lors de la vinification et elles sont présentes dans le vin fini).
Dès lors, mentionner leur présence dans le vin ne me pose pas le moindre état d'âme.
Les protéines animales ?
Colle de poisson (vin blanc) et albumine d'
œuf (vins rouges) sont utilisées de longue date (dans son "Théâtre de l'Agriculture", à l'entame du XVIIème siècle, Olivier de Serres mentionne l'intérêt de ces colles).
Caséine de lait et gélatines porcines sont apparues plus récemment.
Aujourd'hui, après la crise de la vache folle puis avec la prise en compte du bien être animal et la montée en puissance du végétarien et du vegan, les colles animales sont en perte de vitesse et de plus en plus remplacées par des colles végétales (à base de pois ou de patate).
Bien sur les obligations d'étiquetage liées à l'utilisation de certaines colles animales ne sont certainement pas pour rien dans cette substitution.

Les protéines animales comme végétales sont des produits de collage, c'est à dire qu'elles ont une affinité particulière pour certains composés qui y adhèrent avant de sédimenter et d'être éliminés.
Celà permet d'avoir des vins clairs, limpides, brillants, dont la couleur (en particulier celle des blancs et des rosés) tiendra mieux dans le temps.
Retenons que les produits de collage sont éliminés après avoir fait leur effet, afin d'oter du vin ce qui s'est collé à eux et dont on ne veut pas. Dès lors il n'en reste pas dans le vin (comme signalé plus haut : quand on en vient à la caséine de lait ou à l'ovalbumine, les vignerons ont l'obligation légale de vérifier analytiquement cette absence).
Ce ne sont pas des additifs, ce sont des auxiliaires : bien qu'utilisés à tel ou tel moment de l'élaboration du vin, il n'y en a pas dans le vin fini.
En toute honnêteté : je ne comprends pas le sens qu'il y aurait à indiquer la présence d'un composé qui est absent.
Vient alors l'habituel couplet :
"Quarante neuf additifs sont officiellement utilisés pour les vins conventionnels, 35 par label bio européen. Problème : comment offrir une information claire sans affoler le client ?"
Je ne sais pas d'où sort cette ânerie que l'on m'inflige régulièrement. C'est débile. Inepte.
En un mot : mensonger.
Je vais la faire courte (pour une fois) en vous renvoyant au texte européen qui encadre tout çà : le Règlement délégué (UE) 2019/93.
Ce texte liste très précisément les additifs autorisés.
Combien sont-ils ?
49 ?
Non : 22 !
Et encore sur ces 22 trouve-t'on :
- la résine de pin d'Alep (réservée au Retzina),
- l'argon, l'azote et le gaz carbonique qui ne sont pas à proprement parler constitutifs du vin fini,
- le soufre sous différentes formes.
Autant dire que de fait, moins de 20 additifs sont autorisés, dont certains qui sont exclusifs des autres.
Oui : là aussi, sur quelque chose d'aussi froid et vérifiable qu'un simple chiffre, la RVF est à côté de la plaque et je lui retourne donc sa question : "
Problème : comment offrir une information claire sans affoler le client ?".
Surtout quand, sous prétexte d'informer on désinforme.
Et je ne m'étends pas plus que nécessaire sur le fait qu'être utilisable ne veut pas dire, comme le prétend la RVF, que l'on est utilisé. Encore une fois : les mots ont un sens !
"Naturellement, il a fallu trouver un compromis entre les producteurs et les partisans d'une transparence intégrale. Que verra-t'on sur l'étiquette ? Comme pour un soda, les calories apparaîtront sous e symbole (E), suivi des quantités pour 100 ml. Les allergènes seront également mentionnés dès lors qu'ils sont détectables (sulfites, produits à base de lait et d’œuf), assortis du message sanitaire destiné à la femme enceinte.".

Non, les allergènes ne seront pas : "également mentionnés dès lors qu'ils sont détectables".
Car c'est déjà le cas !
Depuis 2005 pour l'un et 2012 pour les autres.
Dès lors nul besoin de compromis puisqu'il s'agit d'une obligation légale. D'ores et déjà prise en compte et respectée par la profession.

Notons que je ne comprends pas très bien ce que la RVF entend par "transparence intégrale" (mais je crains le pire).

Mais la transparence intégrale est le cheval de bataille enfourché par l'exemple qui nous est proposé pour clore cet article en la personne d'A. Tréchot et de son appli "dans ma bouteille".
Cette appli, j'en parlais dans un billet qui commence à dater un peu, que l'on pourra lire ici et qui recense les plus graves des erreurs dont cette appli (soit disant) informative regorgeait.
Ensuite de quoi je me faisais une nouvelle fois agresser ... mais par la suite les erreurs les plus grossières ont été corrigées conformément à mes remarques (même s'il subsiste quelques scories, ici ou là), ce qui semble indiquer que je n'avais peut-être pas totalement tort !
Mais çà, au sein de cette joyeuse équipe, personne ne le reconnaîtra.
Gageons qu'il en ira probablement de même avec ce billet ...



(Nous devrions reparler de tout ceci d'ici quelques mois.
C'est donc un "à suivre ..." qui conclut ce billet)


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