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"C'est en graissant ton fusil avec respect et pour le fusil et pour la graisse, ..."

Par Afust

J'ai des contacts joueurs
L'un d'entre eux m'a fait suivre ce billet dont le prétexte est la graisse et sa maladie (dans le vin).
Celle qui l'a écrit, nous avions eu un échange il y a fort fort longtemps. Je lui avais alors fait part de mon désarroi oenologique devant un billet qu'elle venait de commettre à propos d'un producteur et de sa façon de travailler.
Elle m'avait répondu en m'intimant l'ordre (sic) de ne plus la lire.
Oops : j'ai relu.
Extraits de ce dernier avatar (je passe sur les blagues, car je digère mal les clowns pas frais, et me contenterai donc des aspects oenologiques. Ce qui suffit amplement à mon bonheur) :

"Ok, non, pas tout de suite et puis le bleu n’est pas une couleur alimentaire."
C'est anecdotique, mais c'est faux.
Qu'il s'agisse de l'expérience vin bleu ou, plus anciennement, du "Mesnagier de Paris" qui, dès le Moyen-Age, apprend à ses lecteurs comment colorer les aliments en bleu (grâce au tournesol).
En outre, je dois avouer de grosses faiblesses pour les myrtilles, les bleuets (et leur petit goût épicé) ou le homard breton.
Nota : ces faiblesses ne viennent pas que de mon passé de popotier du club des lieutenants du 19ème groupe de chasseurs et tout ce qui est donc devenu "bleu cerise".
Avant, élève officier à Coetquidan, il m'est arrivé de démonter , remonter et graisser mon Famas sur ce passage de "Citadelles" (il faut dire qu'à l'époque  je jouais aussi aux échecs) :
"C'est en graissant ton fusil avec respect et pour le fusil et pour la graisse, ...".

Quoiqu'il en soit :

"Parce que le gras n’est pas que gras: il permet à la matière initiale, une patate, une bête patate, une triste patate de devenir un fier bâtonnet, rigide, doré, croustillant et fondant à la fois. Il se love sur une tranche de pain, une bête tranche de pain, une triste tranche de pain et amène sa rondeur, sa douceur, ses petits grains de sel. Il donne du relief, de la profondeur, en deux mots: une joie intense.

Mais quand un vin sec est visqueux comme du savon liquide, ça déstabilise. On appelle ça “faire la graisse”. Je vous l’accorde c’est très rare: à un point tel que quand j’ai étudié la sommellerie, on m’a enseigné que c’était une maladie disparue."


Il en va de la "maladie de la graisse" comme du "lait d'amandes" (lui aussi abondemment cité dans "le Mesnagier de Paris") : ils doivent leur nom à des similitudes, certainement pas à des identités de composition ou de matière active.
Car de même que le lait d'amande est blanc mais n'est pas du lait, la maladie de la graisse provoque des vins filants et visqueux, qui s'écoulent en rappelant une huile qui coule ... mais qui n'a rien à voir avec de la graisse !
Il s'agit en effet de sucres, de longues chaines de sucres produites par des bactéries : des exopolysaccharides. Des glucanes.
En conséquence de quoi je mets quiconque au défi d'obtenir des patates croustillantes ou une joie intense grâce aux glucanes de Pediococcus damnosus.

"Notre goût est ainsi fait que pour peu qu’on joue sur la texture d’un aliment, ou sur sa couleur, nos perceptions de l’aliment ou la boisson peuvent complètement changer, même si intrinsèquement ses saveurs de base n’ont pas été modifiées. Fou non? Mais ça valide complètement l’idée que le gras est une saveur puisqu’en en apportant, intentionnellement ou non, on modifie le goût."

Ca ne valide rien du tout, même dans nos rêves les plus fous.
Pediococcus damnosus tape dans les sucres, en fait de longues chaines qui rendent le vin lourd et visqueux en dégradant fortement sa texture.
Ce qui est fou, c'est de partir là dessus pour en faire un plaidoyer pro domo pour le gras et sa saveur.

"Dans le cas de la graisse, la malo se passe différemment. Je vais citer Maya Sallée une vigneronne parce que je trouve son explication à la fois scientifique et claire:

La maladie de la graisse n’est pas grave, c’est même plutôt qualitatif une fois que c’est passé (parce que ça donne du « gras » en bouche).

Ce sont les pediocoques, des bactéries lactiques, qui font des chaînes de glucanes. Ce n’est pas une contamination bactérienne, les pedios peuvent faire la malo tout autant que les oenococcus.

Une fois qu’elles ont fini de bosser, les chaînes de glucanes se défont d’elles mêmes. C’est physique, réversible avec le temps, environ 8-10 mois selon le stade. On peut aussi défaire mécaniquement la viscosité, il faut des vibrations fortes (donc secouer, carafer ça marche mais ce n’est pas une question d’oxygène) ou passer sur un tamis (filtration au domaine si c’est encore en cuve).

Pour moi, ce n’est pas un défaut, les vins qui ont fait des graisses sont bien meilleurs après. Il faut être patient.

Donc si on reprend bien tout: les oenococcus se sont fait supplanter par les pédiocoques, qui non seulement on fait la malo, mais en plus ont fait les malignes en créant peperlito des petites chaines de glucanes au calme, chaines de glucanes qui sont donc: le gras."

N'en déplaise à Maya Sallée qui, en plus d'être vigneronne est aussi ingé oeno (qui plus est formée à Toulouse), les choses ne sont pas aussi simples qu'elle semble le dire.
La maladie de la graisse est une cochonnerie décrite depuis des siècles (on pourra s'en convaincre en lisant un billet que j'avais consacré à cette déviation bactérienne) car si, si : il s'agit bien d'une déviation bactérienne, dont l'origine a été formalisée par Louis Pasteur, en 1866.


 

Ca ne donne pas du gras en bouche, il y a plein de trucs qui donnent du gras en bouche, mais pas les glucanes de Pedio qui, eux, confèrent au vin une consistance huileuse des plus désagréables.
C'est pourquoi on la nomme aussi "la maladie des vins filants"
Et ces chaines de glucanes ne se défont pas d'elles mêmes. Pas même par une action enzymatiques (les glucanases développées par JC Villetaz pour permettre la filtration des vins de Sauternes sont en effet efficaces contre les glucanes de Botrytis cinerea, mais pas ceux de Pediococcus).
Le seul moyen correctif n'a donc pas changé depuis des siècles : un brassage énergique qui va casser mécaniquement ces chaines de glucanes. Il devra nécessairement être accompagné de l'élimination des Pédiocoques (au choix par flashpasteurisation ou avec la séquence habituelle : collage / soutirage / filtration / remontée du niveau de SO2 à un seuil permettant de taper ces sales bêtes (dont certaines sont dotées d'une résistance au SO2)). Sinon on prend le risque que tout recommence.
De plus, on me permettra de douter très fortement (je suis extrêmement prudent) que l'apparition d'une maladie de la graisse permette, après traitement (contre les glucanes et/ou les bactéries), une amélioration qualitative du vin.
On nage là en pleine science fiction, quand bien même cette relativité appliquée au vin et à ses déviations est assez répandue de nos jours.
J'en veux pour exemple ce néo vigneron qui m'objectait sans rire : "la maladie de la graisse n'est pas une maladie, puisque c'est un état moléculaire passager".

"Mais pourquoi ce come back de cette “maladie de la graisse?” Le wokisme, sans doute, encore lui, toujours cette tendance à faire tache ! Plus sérieusement, chaque fois que j’ai eu affaire à cette étrangeté, c’était sur des vins peu voire pas protégés de sulfites. Est-ce à conclure qu’il y a un lien de cause à effet? L’échantillon est un peu court pour être scientifique."

Ben ouais, c'est sur : on peut pas conclure. Pour çà faut faire ses propres expériences et après seulement on pourra.
Soupir ...
Le fait que depuis des siècles les publications techniques et scientifiques soient formelles et concordantes, on s'en bat les couettes : tout çà ne vaut pas une dégustation à la maison, entre la poire et le fromage.
Gras, le fromage.


Bref :

"Mais ce qui m’intéresse particulièrement c’est la fin du commentaire: certes, les chaines de gluc’s là, c’est hyper relou mais après ça va mieux et surtout le vin est meilleur… ce qui tendrait à confirmer deux théories que j’ai décidé de prendre comme axiomes de vie:

  • Le gras améliore tout. Dans le doute, rajoute du beurre (ou de l’huile).

  • Quand on s’accorde le temps qu’il faut, tout finit par aller pour le mieux."


Ben voyons donc !
J'ai envie de pleurer, là, tout de suite.
Rien ne nous sera donc épargné ?
Amis des poncifs, bonjour !
Allez, vas-y : mets donc de l'huile d'olives ou du beurre (de préférence salé) dans ton vin, tu vas voir comme il sera vachement meilleur après.
Et non, désolé, mais quand on en vient à la maladie de la graisse, comme aux montées de volatile (marche aussi pour la peste et le choléra) : on peut prendre le temps qu'on veut, mais rien ne s'arrangera spontanément.
Sauf bien sur si ce temps nous a permis, à grand renforts de billets de blog, de nous autopersuader que : "ouais on croyait que c'était de la merde, mais quand on prend le temps d'y réfléchir, c'est super bien en fait".

Attention, spoiler alert :
si ce genre d'approche grassement marketée a fait ses preuves avec la tarte tatin, pour les attaques bactériennes dans le vin je crains que ce ne soit pas super safe ... en dehors d'arrondissements parisiens relativement bien circonscrits et qui furent, en leur temps, fréquentés par "Bouvard et Pécuchet".
Notons que ces deux compères ont, eux aussi, expérimenté des théories et méthodes agricoles qui ont rapidement montré leurs limites lorsqu'il ont voulu les confronter à la réalité.


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