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Les jeunes d’aujourd’hui

Par Afust


Quand elle m’a vu, à l’entrée de la salle de conférences, Nadine Franjus m’a dit « Tu viens râler ? ».
Non, je ne venais pas pour râler. D'autant moins que je sortais d'une belle soirée à picoler et papoter avec David Cobbold qui devait entamer les débats.

Les jeunes d’aujourd’hui

Mais râler c'est pourtant ce que je vais faire, si tant est que donner son avis et faire part de sa consternation soit râler.

Posons les choses.
Je suis un vieux mâle blanc de (beaucoup) plus de 50 ans,
œnologue qui, de surcroît, se pique de microbiologie du vin et de rationalisme.
En vertu de quoi je n’ai pas de sympathie pour la communication vantant les vins nature et les vins « méthode nature ». Car « Méthode nature » est une terminologie qui, pour moi, relève de l’oxymoron de la plus belle eau. Je m'en suis déjà exprimé et n'y reviens donc pas.

Vendredi 9 juin, je venais écouter la journée de conférences organisée à l'occasion du 61ème Congrès des œnologues de France, placé sous le chapeau « l’œnologie verte ».
Or il se trouve que, au delà de ce « méthode nature », j’ai encore moins de sympathie pour certains propos scandaleux. Je pense tout particulièrement à ceux d’Olivier Bompas lors du dit congrès des œnologues de France ainsi qu'à la façon dont ils ont été accueillis.

De quoi s'agit-il ?
Passons sur les tirades populistes sur fond de côte de bœuf garante du bien manger et du bien vivre, pour en venir directement à ce qui motive ce billet :

« mettez-vous à la place d'un jeune adulte qui n'a pas les outils, qui n'a pas le recul, qui rentre dans la vie. Tous les matins, on leur dit que c'est la fin du monde. Résultat : ils ne veulent plus faire de gamins, ils ne savent plus s'ils aiment les filles ou les garçons, ils sont tous vegan, ils boivent du vin nature... »

Je n'en reviens toujours pas.
De plus, je regrette profondément que ce propos n'ait mené à un recadrage ni par le modérateur de la table ronde, ni par les organisateurs, ni par le président de l’union des œnologues de France.
J'en viens donc à ce billet puisque malgré une demande insistante je n'ai pu avoir la parole afin de regretter diverses occasions manquées.
Lesquelles ?
Pas seulement celle de recadrer O. Bompas, mais aussi celle pour les œnologues de s’emparer du sujet « vin nature » au lieu de se contenter de le vilipender avec insistance. Car si le "vin nature" n'était pas au programme de la journée, il en a néanmoins été le fil conducteur tout au long des conférences et des questions et remarques de l'assistance.

Les jeunes d’aujourd’huiNota : on ne m’en voudra pas de ne pas détailler ici mes préférences sexuelles et de me contenter de signaler que si l’on me donnait le choix entre une côte de bœuf et une salade de quinoa agrémentée de légumes frais et colorés je choisirais la seconde option. Option que je n'hésiterai pas à fortement suggérer à mes amis.
Question : cela impacte t’il, et si oui en quoi et pourquoi, mes capacités professionnelles et intellectuelles en particulier lorsqu'il s'agit de décrire et apprécier un vin ?


En outre même si je ne partage pas toutes les indignations des "jeunes d’aujourd’hui" je trouve rassurant qu’ils en aient, des indignations. A leur âge j'en avais autant. Tout comme je trouve réconfortant que, au delà de ces indignations, ils souhaitent poser des actes concrets.
A propos d'acte concret : la seule personne qui, sur l'estrade, ait commenté ce qui avait été dit est également la seule femme et probablement la plus jeune de l’aréopage.
Il s'agit d'Iris Borrut ("vignerons engagés") qui a dit être scandalisée par ce qu'elle venait d'entendre.
Puis est venue la salle avec Ophélie Thomasssin, étudiante en DNO, qui a questionné sur ce qui avait été dit avant de le mettre en regard avec l’absence quasi totale de femmes sur la scène, lors de cette journée.
Je lui ai proposé de profiter de ce billet pour préciser son point de vue. Elle a accepté et on trouvera ses mots en conclusion de ce billet.
Notons que son intervention lui a valu des remarques cinglantes de femmes du comité d’organisation lui faisant remarquer que ce n’était pas le sujet.
C’est parfaitement exact : ce n’était pas le sujet initial. Mais ça l’était indubitablement devenu suite aux remarques d’Olivier Bompas qui, pour seule réaction, avaient reçu les applaudissements et les rires d’une part conséquente de l’auditoire. On lui a aussi signifié que s'il n’y avait pas de femmes c'est qu'on n’en avait pas trouvé.
Sérieusement ?
Prenons les seuls thèmes confiés à Olivier Bompas : « état des lieux sur le style et l’esprit du vin
» et, cerise sur le gâteau : « le point sur la consommation et la perception des consommateurs, notamment en lien avec les nouvelles attentes sociétales ».
Les attentes sociétales ? Oui : ces trucs fumeux portés par ceux qui ne savent plus s’ils doivent aimer les filles ou les garçons.
Magnifique analyse sociologique.
Il n’y a donc pas de femme capable d’aborder ces sujets ? Aucune femme capable de parler du vin, de la sociologie de sa consommation, et des nouvelles attentes sociétales autrement qu'avec la côte de b
œuf et le désordre des préférences sexuelles ?
C’est une blague !?
S'il fallait un journaliste de la presse grand public pour assurer l'éclat des débats, c'est une réussite.
Alors voilà : je ne sais
qualifier autrement que de schizophréniques ces positions qui prétendent respecter les demandes sociétales mais rejettent le vin « nature » et les jeunes qui le boivent, ainsi que ces regrets de ne pas plus attirer les jeunes dans un syndicat professionnel qui les laisse ainsi qualifier lors de son congrès annuel.
Oui : les
œnologues de France ont une position schizophrénique.
D’une part en s'arc-boutant sur les tables de la loi œnologique, en vertu de quoi on en vient au rejet en bloc des vins nature.
De l’autre en disant vouloir prendre en compte les injonctions sociétales, tout en laissant moquer ceux qui les portent.

Enfin : pourquoi recadrer celle qui réagit et laisser en paix celui qui cause les dites réactions ?

Si, comme le dit le président des œnologues de France, les œnologues sont des experts pluridisciplinaires (peut-être pas en communication ...), alors nous devons et pouvons nous emparer du sujet des vins nature et mettre nos savoirs et savoirs faire au service de ces vins.
Y a du boulot. Et un bel exercice de style.
En ce qui me concerne, quoiqu'il en soit de mes réserves sur certains vins, je reste convaincu que le rôle de l’
œnologue n’est pas de faire ou faire faire les vins qu’il préfère ou juge bons, mais bien d’aider les vignerons à obtenir non pas les vins qu’ils peuvent, mais plutôt les vins qu’ils veulent.
Et ceci dans les conditions technico économiques et sociétales qui prévalent aux conditions de leur élaboration.
Quant aux consommateurs de tous âges, ils peuvent bien boire et aimer ce qu'ils veulent et, par ailleurs, faire ce qu'ils veulent de leur cul, avec qui ils le veulent.
Je laisse, ainsi qu'annoncé plus haut, les derniers mots à Ophélie Thomassin :

« Œnologie verte, transition énergétique et durabilité » : quels outils nous restent-ils vraiment quand les transformations sont rendues inaccessibles par une néophobie paralysante ? Les vins « méthode nature » ne se veulent pas être les colons de la vigne de demain, et au delà des choix de consommation de chacun ils restent un exemple intéressant de système qui se veut résilient de la vigne au verre, et dont il est possible de s’inspirer sous le signe de l’intelligence collective. Inspiration technique des méthodes alternatives bien sûr, mais aussi inspiration du courage de ceux qui osent déconstruire leurs habitudes et leurs acquis, se réinventer et prendre le risque d’essayer. Loin d’être un simple débat stérile sur le bien fondé du vin nature, il s’agit là de considérer l’ensemble des possibles pour ne pas limiter ses propres capacités d’évolution et d’adaptation dans une filière qui n’est déjà plus ce qu’elle a été.

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