... et mes peines. Si tant est qu'il y en ait eu. Non point, que du bonheur! Chronique d'un séjour pyrénéen sous la canicule de juillet, qui n'incite pourtant pas à sortir de la torpeur bloguesque estivale. Entre histoire, préhistoire et petites histoires, histoire de partager ces temps ariégeois élargis, de bas en haut et de Bouzigues à Bassiès, en longeant le Vicdessos depuis Tarascon et Niaux.
" À Niaux, j'y go!", cri de ralliement, point de départ et base de campement de cette virée touristico-gastronomique. Hasard des disponibilités d'un hébergement apte à nous accueillir, dans ce secteur en début d'été.
Premiers temps, pré-ariégeois, l'étang de Thau. Pour un prologue en espadrilles...
À Bouzigues, du vin, du cochon, des huîtres et des zigs!
Avant l'Ariège, il fallait une étape. À tapas, pourquoi pas? Et à Thau, ce n'était pas trop tôt, idéalement situé sur le parcours. Ça tombe bien, Vincent Pousson, dont le cerveau défèque autant de liquides que de solides sur son blog aussi pertinent qu'agaçant, organise un "pop-up", comme on dit dans le jargon du fooding. Plus précisément, dans son cas d'allergique aux tendances culinaires, un restaurant éphémère dans un mas ostréicole de la zone conchylicole de Bouzigues. Deux jours d'agapes en espadrilles, au bord de l'étang, entre deux parcs à huîtres, pour un melting-pot de produits frais locaux et gascons, dont certains au destin scellé par la maréchaussée à la demande des hygiénistes du coin, lors d'une descente improvisée à l'heure de l'apéritif.
Il ne s'agissait là pas encore de l'art rupestre ou de l'art pariétal préhistorique, mais de lard gascon contemporain, qui eut l'heure de déplaire aux pandores de la malbouffe, celle qui ne se préoccupe que de traçabilité à défaut de qualités gustatives. Au final, on a quand même bien mangé, au bord de l'étang des demoiselles Dupuy, cultivant le transgenre à l'occasion (le temps d'une séance cabaret, le vendredi soir en été), et bien bu. Quelques grosses daubes, parfois, qui ont bien mérité l'évier ou plutôt l'étang, au risque de perturber l'équilibre de la faune locale. Elles ne bénéficieront que d'un anonymat salutaire, du fait de leur insignifiance, et, ce, d'autant qu'elles ne figuraient pas officiellement à la carte, étant le fait d'apports personnels. Le cochon de lait et la côte de bœuf étaient à se damner, tout comme le Xixarito, manzanilla de compétition, le " Cahors sans les emmerdements" (la carbo d'auxerrois de Julien Ilbert, commercialisée en Côtes du Lot) et la Loute de la Coume Majou, "la leçon de carignan" de Luc Charlier, apportée dans sa besace par 1/5ème du vin, Michel Smith, l'homme au chapeau et au moulin sans poivre (private joke).
La petite auberge de Niaux41 route du Montcalm09400 NIAUX
Tél : 05 61 05 79 79
À Niaux, le silence.
Et le calme aussi. Si l'on excepte le 16 juillet 2015, date de passage du Tour de France et de sa caravane publicitaire, sous l'orage. Et la fraîcheur aussi, celle de la vallée du Vicdessos, qui s'accommode à toutes les sauces, et de la célèbre grotte préhistorique locale, préservée de la canicule.
Bienvenue dans les temps préhistoriques. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser les Magdaléniens, il y a bientôt 12000 ans, à faire leurs besoins artistiques, sans papier, au fond d'une grotte sans électricité? Art pariétal chargé de symbolique, réservé uniquement aux chauves-souris, avant que l'homme un peu plus moderne ne s'aventure sur leurs traces, dès le XVIème siècle, à la lueur d'une torche, de manière beaucoup moins artistique, en taguant simplement " À Lulu pour la vie" au stylo Bic (ou assimilé) sur les parois de la caverne. S'en suivirent des excursions dans les galeries souterraines à la frontale ou à la lampe de poche par des curistes désœuvrés, avant que le touriste du XXIème ne prenne désormais le relais, sur un chemin désormais bien balisé, dans le respect de conditions d'hygrométrie, de température et de mesure du dioxyde de carbone, aptes à préserver encore longtemps ce patrimoine déjà plusieurs fois millénaire.
À Niaux, souris! Et mange. Tu peux également te restaurer à la Petite Auberge, une petite adresse des plus sympathiques, où la nourriture fait la part belle au terroir ariégeois. Tourte du pays, quenelle de truite du Vicdessos, munjetado (le cassoulet local), de la nourriture consistante pour montagnard, que l'on arrosera volontiers d'un vin des Coteaux d'Engraviès (voir plus loin).
À Tarascon, l'art y ai-je également rencontré?
Que nenni, non point! Mais la petite cité au confluent des vallées de l'Ariège et du Vicdessos ne manque pas d'atouts touristiques, qu'elle aimerait bien faire valoir entre deux bouchons routiers sur la RN20, celle qui conduit à l'Andorre puis l'Espagne, toute proche.
Bienvenue dans le temps passé dans les bouchons, que la Tour du Castella se fera un plaisir de vous indiquer, à moins que vous ne préfériez y grimper pour profiter de la vue panoramique.
À Foix, la crise?
Hormis le château et la saucisse, on ne retiendra pas grand chose de la ville de Foix lors de ce séjour ariégeois. Accès au centre ville un peu compliqué, espace commerçant pas trouvé/pas bien cherché/fermé (c'était lundi). Moralité: prends le tunnel et reviens la prochaine fois? (ceci dit, une bonne saucisse de foie et de Foix séchée restera un beau moment gastronomique, un petit bout d'Ariège à rapporter en souvenir dans sa valise, pour prolonger un peu ces temps ariégeois à l'heure de l'apéritif)
Le jour de l'afturganga
Bienvenue dans les Temps glaciaires, le roman noir rafraichissant de l'été, signé Fred Vargas. Canicule, clap de fin. La Haute Ariège a pris des airs d'Islande, en convoquant l'afturganga le jour où l'on avait prévu de grimper à Bassiès. Quelle bassesse! De la même façon que le commissaire Adamsberg se débat dans ce brouillard islandais, aussi épais que soudain, pour enfin " finir de se gratter" avec cette vieille histoire de meurtres déjà prescrits, il va falloir envisager de prendre son mal en patience et guetter la bonne fenêtre météo pour pouvoir tenter l'ascension.
Il était encore très tôt ce matin-là, le paradis de haute montagne se gagnant aux aurores. Et c'est les yeux mi-clos que nous nous sommes cantonnés dans la vallée du Vicdessos, pour jeter un œil aux ruines de la forteresse de Miglos.
Plan B, pour rester dans la thématique châtelaine, Montségur nous tendait les bras, à une encablure de Niaux, sur la route de Mirepoix. Las! Le dernier refuge cathare, culminant à 1207 mètres, a aussi été pris par l'aftur! On n'a pas fini de se gratter si le temps ne se lève pas et qu'on ne réussit pas à faire ce petit pèlerinage cathare.
Ultime option, pour sortir de la purée de pois: Mirepoix, dont la grande place médiévale, avec ses allées couvertes et ses belles maisons à colombages, ne manque pas d'attrait. Un petit tour et puis s'en va, retour dans la grisaille de la Haute Ariège, qui ne tardera heureusement pas à se lever.
Montségur, mieux vaut cathare que jamais.
Restaurant Deymier1, rue Bernard Saisset09100 Pamiers05 61 60 08 11Sorti de l'afturganga, le pain de sucre de Montségur a fière allure. Téton imprenable, en érection au dessus d'un nichon broussailleux, au col éponyme de Montségur. La montée est rude, heureusement très courte, vers ce nirvana cathare. Le touriste en espadrilles ou en claquettes sue des pieds dans la pente, quand il ne se fait pas une entorse. La guérite de paiement, située à mi-course, opère un tri sélectif. Celui qui ne parviendra pas jusque-là n'en sera pas pour son argent. Les Cathares qui vivaient là-haut, guettant leur crémation prochaine à l'issue d'un siège meurtrier, s'étaient déjà sans doute délestés de tous leurs biens matériels.
Mais pourquoi donc la vision du champ des cramats, en contrebas de la forteresse, m'évoqua irrésistiblement celle du cochon de lait grillé au bord de l'étang de Thau quelques jours plus tôt?
Arzens, le vin, les amis, le vin des amis.
Crédit photo ©Le Mas de mon Père
L'incursion en terre cathare avait pour but initial de pousser jusqu'à Arzens, histoire de voir comment la "mauvaise pierre" avait pu l'avoir aussi mauvaise en 2014. Bienvenue dans les temps météorologiques compliqués. Appellation charnière, Malepère bénéficie comme Cabardès de la double influence océanique et méditerranéenne. D'où la forte représentation des cépages bordelais, cabernet, merlot et même malbec. 2014 fut une année de sinistre mémoire, dans l'Aude. Une véritable tornade a ravagé 15000 hectares de vignes, vergers et céréales, ne laissant que désolation sur son passage. Particulièrement touché, Frédéric Palacios, du Mas de mon Père (enfin, du sien, de mas et de paternel), a bénéficié d'une solidarité vigneronne exemplaire, qui, entre don et achat de raisins, lui a permis de produire un certain nombre de bouteilles qui devraient lui permettre d'assurer la survie de son domaine. Sa Part de l'orage. Et, pour un petit carton, la mienne. Un tour digestif du vignoble a permis de se rendre compte de sa situation géographique, en revenant à Montréal, joli village perché à la sortie du bois (tu parles, Charles!), où nous étions déjà passés à l'aller, avant de boucler la boucle à Arzens. En passant devant les vieux grenaches de la cuvée "Cause toujours", élaborée avec Laurent Bazin, on sent la voix de Frédéric se nouer. Ils ne survivront pas à l'orage et il faudra se résoudre à les arracher. Le double effet Kiss pas cool de la grêle, largement à distance.
Avant d'aller à la vigne, il avait bien fallu prendre des forces. Repas vigneron maison, cansalade grillée avec frites et œuf au plat. Accompagné du vin de quelques amis, locaux ou plus lointains, comme le très beau riesling 2011 de Stéphane Bannwarth ou le magnifique C comme Ça 2008, authentique carignan sans soufre qui traverse les ans sans subir les outrages du temps.
Le haut du Pamiers.
Une adresse imprévue, glissée avec insistance par Frédéric Palacios. " Faut aller manger là-bas, c'est la meilleure table d'Ariège!" Oui, mais c'est complet. Tenace, le vigneron joue de toute son influence auprès de son copain de chef pour nous obtenir deux couverts en tout début de service. Bienvenue dans les temps gastronomiques. Contigu aux caves Deymier, le restaurant Deymier ne paye extérieurement pas de mine. C'est pourtant une véritable institution appaméenne (oui, c'est comme ça qu'on dit. Merci qui? Merci Wiki!). Depuis 2012, la gérance du restaurant à été confiée à François Bassas, piscénois d'origine, tombé amoureux de l'Ariège et de ses produits. Ancien de l'Hôtel de France, François n'est pas un appaméen inconnu, mais il signe désormais sa carte de son nom. On vient toujours se pâmer à Pamiers pour le restaurant Deymier, mais on y vient surtout pour la cuisine inventive et raffinée de François Bassas, jolie interprétation du " territoire" ariégeois (et languedocien un peu aussi). Le soir, c'est menu-surprise, suivant l'inspiration du chef. Et cela vaut le coup de se laisser guider. Quitte ou double? Oui, mais uniquement dans le verre. Le chasan 2012 de Frédéric Palacios, petit clin d'œil à notre entremetteur d'un soir, a fait merveille, de la mise en bouche au dessert. Du tartare d'espadon et légumes croquants au délicieux carpaccio de nectarine, en passant par le merlu de ligne façon bouillabaisse et le succulent cochon de lait grillé et déclinaison d'aubergines, sans oublier la parfaite et goûteuse assiette de fromages en supplément.
Engraviès
On fait du vin en Ariège, une fois. On en retrouve la trace dès le XIVème siècle, du côté de Dun, Vira et Engraviès. Un département qui fut un temps à la pointe, puisque c'est ici même, au domaine de Royat, qu'a été mise au point la taille en cordon (de Royat) et la vinification par gravité. Pas sûr que tous les œnophiles le sachent. Moi le premier, avant de pondre cet article. Ces deux grandes innovations ariégeoises sont évidemment appliquées à Engraviès, depuis que le vignoble y a été recréé par Claire et Philippe Babin, en 1998. De la vigne plantée en terrasse sur les plus beaux coteaux, syrah, cabernet sauvignon et merlot, bénéficiant d'une triple influence, sudiste, océanique et montagnarde. En bio dès le début, certifié à partir de 2002. Dans les archives du domaine, on note le passage en 2006 d'un certain Anthony Tortul, qui se fit jeter par la suite un putain de sort, gars! En 2014, le domaine est repris par Thomas Piquemal, un nom bien d'ici, embauché quelques années plus tôt. À la dégustation, 3 cuvées: Fleur de cailloux, Orchidée et Roc des Maillols. Syrah, syrah/merlot, syrah/merlot/cabernet sauvignon, 3 jolies expressions sur le fruit qui donnent envie de se plonger avec délice dans le terroir ariégeois.
Bassiès
Dès le premier jour, on nous a dit " Si vous voulez faire la plus chouette rando du secteur, faut faire Bassiès!". Soit, faisons Bassiès, alors. Une véritable randonnée de montagne, 3 heures de rude et dure montée qui conduisent dans une vallée heureuse, où une succession d'étangs naturels glaciaires en cascade sont exploités par EDF via une conduite forcée qui alimente une petite centrale électrique tout en bas. Il fallait bien choisir son jour, de préférence pas celui de l'aftur. Après un faux départ le mercredi, le vendredi nous tendait météorologiquement les bras. Il fallait absolument le faire, pour ne pas avoir de regrets et se gratter toute la vie en y repensant. L'ascension fut effectivement aussi dure et rude qu'un double contrepet rotatif. Une fois passé le petit pont de pierre qui enjambe le ruisseau de Bassiès, la vallée s'ouvrait devant nous, magnifique comme prévu. Mais elle ne fut pas totalement heureuse. Bienvenue chez les taons qui piquent! Le poison de la vallée! Dès que le soleil darde de ses rayons la vallée du Vicdessos, le tabanidé vampire sort son gros dard pour venir se gorger du sang rarement impur du buveur de vin nature, tu n'as pas idée! Il n'est pas inintéressant de noter que seules les femelles pompent, contrairement aux Shadoks, dont il est bien difficile de reconnaître le sexe à l'œil nu. Fin de la parenthèse entomologiste.
Au refuge de Bassiès, une bière, une omelette à la ciboulette et un coup d'œil sur le prolongement de la vallée, en direction de la Pique rouge de Bassiès, que l'on fera une autre fois, peut-être.
Une fois redescendu au parking, par l'autre versant, sur le chemin muletier, tu sais pourquoi il fallait absolument faire Bassiès. Et tu ne le regrettes évidemment pas, malgré les nombreuses piqûres qui couvrent tes bras et tes jambes. Tu n'as pas fini de te gratter!