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Vin et histoire # 5: Colette, les mots du vin

Par Findawine

Après quatre articles consacrés aux hommes dans cette série de personnages historiques appréciant la vigne et son nectar, voici enfin la première femme ! La romancière Colette témoigna de sa passion pour le vin dans ses ouvrages évoquant sa vie personnelle. Cela marqua le début d’une libération où les femmes pouvaient jouir du vin et s’occuper de leur destinée.

Sidonie Gabrielle Colette, dite Colette, est une romancière française, auteur d’œuvres d’inspiration autobiographique. Elle y évoque en effet les événements de sa vie et ses fantasmes. Elle apporta au fur et à mesure de ses romans une attention de plus en plus précise à la justesse des mots, particulièrement lorsqu’ils sont chargés d’exprimer l’effusion dans la nature, ainsi qu’une sensualité librement épanouie pour revendiquer les droits de la femme sur l’homme, mais aussi ceux de la chair sur l’esprit. Elle témoigna d’un féminisme d’avant-garde mais aussi d’un hédonisme passionné.

Colette dans une cave en Bourgogne

 

Colette et le vin

Dans l’expression des plaisirs de la chair, Colette accorda aux plaisirs du vin une place de premier ordre. Elle fut en effet initiée au vin dès sa plus tendre enfance passée à Saint-Sauveur-en-Puisaye dans l’Yonne. Elle l’évoque dans son ouvrage “En Pays Connu” :
À l’âge où l’on lit à peine, j’épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d’éblouissants Yquem. Le champagne passa à son tour, murmure d’écume, perles d’air bondissantes ; à travers des banquets d’anniversaires et de première communion, il arrosa les truffes grises de la Puisaye… Bonnes études, d’où je me haussais à l’usage familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des verres étroits à gorgées espacées, réfléchies. ” Colette, à la vie mouvementée et aux nombreux maris et amants, évoqua également dans ses ouvrages ses rencontres avec la vigne, fit partager ses coups de cœur et donna des conseils gustatifs et culinaires.
Comme ses homologues Montaigne ou Rabelais, quatre siècles plus tôt, Colette donna vraiment ses lettres de noblesse au vin avec, cette fois-ci, une sensibilité toute féminine. Des appellations et vins précis sont en relation avec chacune de ces thématiques. Je citerai ici les principaux.

Les vins de Colette

1. Les vins dans l’éducation de Colette

Eduquée dans l’Yonne, dans une région non viticole, elle fut néanmoins initiée aux vins de Bourgogne, mais aussi aux vins du Sud-Ouest, région de son père, et aux plus grands crus bordelais.

Jurançon
Je fis, adolescente, la rencontre d’un prince enflammé, impétueux, traître comme tous les grands séducteurs : le Jurançon. Ces six flacons me donnèrent la curiosité de leur pays d’origine plus que n’eût fait un professeur. “  “Nouvelles”

Muscat de Frontignan
J’ai été très bien élevée. Pour preuve première d’une affirmation aussi catégorique, je dirais que je n’avais pas plus de trois ans lorsque mon père, partisan des méthodes progressives, me donna à boire un plein verre à liqueur d’un vin mordoré envoyé de son pays natal : le muscat de Frontignan. Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves ! Ce sacre me rendit à jamais digne du vin. Un peu plus tard, j’appris à vider mon gobelet de vin chaud, aromatisé de cannelle et de citron, en dînant de châtaignes bouillies.” “Prisons et Paradis” (1932)

Corton
Chambertin
Pauillac : Château-Lafite
St-Julien : Château-Larose
C’est entre la onzième et la quinzième année que se parfit un si beau programme éducatif. Ma mère craignait qu’en grandissant, je ne prisse les “pâles couleurs”. Une à une, elle déterra, de leur sable sec, des bouteilles qui vieillissaient sous notre maison, dans une cave - elle est Dieu merci intacte - minée à même un bon granit. J’envie, quand j’y pense, la gamine privilégiée que je fus. Pour accommoder au retour de l’école les encas modestes (…), j’eus des Château-Larose, des Château-Lafite, des Chambertin et des Corton qui avaient échappé en 70 aux “Prussiens”. Certains vins défaillaient, pâlis et parfumés encore comme la rose morte ; ils reposaient sur une lie de tannin qui teignait la bouteille, mais la plupart gardaient leur ardeur distinguée, leur vertu roborative. Le bon temps ! J’ai tari le plus fin de la cave paternelle, godet à godet, délicatement… Ma mère rebouchait la bouteille entamée, et contemplait sur mes joues la gloire du vin français. “  “Prisons et Paradis” (1932)

2. Ses rencontres avec la vigne

Brouilly
En septembre 1947, à la fin de “cet été furieux, interminable” d’où allait naître un très grand millésime, Colette est à Odenas (Brouilly), au cuvage du château de la Chaize.
Les grandes portes rabattues, le Cru semblait retiré à même une grotte et, de son haut plafond, il me jeta ensemble une chape glacée d’air immobile, la divine et boueuse odeur des raisins foulés et le bourdonnement de leur ébullition. Cent mètres de voûtes s’étoilaient de lampes, les cuves rejetaient par-dessus leurs bords les baves roses en longs festons : l’âme du vin nouveau, lourde, à peine née, impure…” “Le Fanal Bleu” (1949)

Nuits-Saint-Georges
Colette aimait s’attarder dans les caves, notamment à Nuits-Saint-Georges.
Autour de nous règnent les sons amortis, le calme et ce luxe suprême, bientôt inaccessible à notre existence : la lenteur réfléchie, la mesure. Au-dehors, la bise elle-même galope, la route se couvre d’automobiles, le téléphone grelotte sans trêve. Mais au chevet du vin cloitré, le temps s’endort et peut-être que nous cessons, un moment, de vieillir.” “Prisons et Paradis” (1932)

Bourgogne
Elle évoque un vigneron bourguignon, volubile à propos de son vin, dans “Prisons et Paradis” (1932).
Nous faisons visite, aujourd’hui, à la dissidente qui affronte le Cru, à la Firme qui vend du vin bourguignon : “Analysez-moi, goûtez-moi, dit-elle. Mes vins charrient l’or et le rubis classiques ; ils sont purs de mésalliance (…). J’amasse des vins qui sont originaires des vignobles de Bourgogne. Je groupe, fidèles et épars, des cadets généreux que le Cru, lorsqu’il ne les réquisitionne pas, traite de bâtards sans honneur (…). On trouvera que je traduis, que je résume en des termes tant soit peu lyriques. Mais comment parler froidement, quand il s’agit d’une gloire nationale, du vin de Bourgogne ?

3. Ses coups de cœur

Champagne : Pommery
Quelle plus belle promotion du champagne Pommery que ces mots dans “Chéri” (1920) ?
Murmure d’écume, perles d’air bondissantes, à travers les banquets d’anniversaires et de première communion.”

Pauillac : Mouton-Rothschild
Colette reçut pour ses 75 ans une bouteille de Château Mouton Rothschild 1873, année de sa naissance. Elle en fit le commentaire suivant dansLe Fanal Bleu” (1949) :
On l’a tenue couchée, comme moi, jusqu’au dîner du 28 janvier, et ma foi, comme à moi, il lui restait quelque feu, une couleur atténuée, une bonne odeur de violettes, et le vin de Mouton qu’elle m’apportait doucement sur sa lie, d’où nous l’éveillâmes, pleins de gratitude et de précaution.”

Asti, Vin d’Asti
Colette s’émerveille aussi devant ce vin blanc italien, deuxième en production derrière le Chianti. Ce vin est légèrement pétillant.
L’ardeur musquée et traîtresse du vin d’Asti se propage en chaleur naissante à l’ourlet de mes oreilles, en soif renaissante de ma gorge. Je tends mon verre et je bois plus lentement, les yeux mi-fermés de délice. (…) Pour moi qui ne bois jamais que de l’eau à la maison, je constate des phénomènes inouïs : un treillis léger et vaporeux monte de la table, nimbe les lustres, recule les objets et les rapproche tour à tour. ” ” Claudine à Paris” (1901)

Colette et l'amour de la cuisine

4. Ses conseils

Mercurey
Colette invite à l’association des truffes et du Mercurey dans “Prisons et Paradis” (1932).
Ne mangez pas la truffe sans boire. À défaut d’un grand ancêtre bourguignon au sang généreux, ayez quelque Mercurey festif et velouté tout ensemble. Et buvez peu, s’il vous plaît. On dit dans mon pays natal, que pendant un bon repas, on n’a pas soif, mais bien faim de boire.”

Champagne
Grande amatrice de champagne, Colette suggère la façon la plus appropriée de le boire.
Le champagne ne se boit pas, il se déguste. Il ne faut pas l’avaler goulûment. On doit le déguster avec mesure dans des verres étroits, à gorgées espacées et réfléchies.” “Prisons et Paradis” (1932)

Vouvray Sec
Champagne Sec
L’écrivaine indique dans “Chéri” (1920) plusieurs associations de mets pour les vins effervescents.
“Léa darda autour d’elle d’un œil assuré, qu’on ne trompait presque jamais, et déjeuna dans une solitude joyeuse, souriant au Vouvray sec et aux fraises de juin servies avec leurs queues sur un plat de Rubelles, vert comme une rainette mouillée.”
” Son dîner de poisson fin et de pâtisseries fut une récréation. Elle remplaça le bordeaux par un champagne sec et fredonna en quittant la table.”

Marc de Bourgogne
Colette a promu dans ses œuvres une cuisine authentique mettant en valeur le produit. Elle s’insurge dès lors contre l’ajout d’eau-de-vie dans les plats et desserts.
Si je dois poursuivre le plaidoyer que j’entreprends pour la vraie cuisine, simple, ancienne, réfléchie, j’aurais sujet de dire, sauf à de rares exceptions, elle écarte de tout ce qu’elle élabore, la brutalité de l’alcool : que la tarte à l’abricot, arrosée d’eau-de-vie est œuvre du démon, que le bœuf-mode dont l’arrière-goût révèle l’adjonction de marc de Bourgogne est une hérésie.” Paysages et Portrait

Côte de Provence Blanc
Vin de pays du Var
Armagnac

Elle nous fait part d’une de ses expériences culinaires associant Armagnac et Côte de Provence : le vin d’orange.
« Il date d’une année où les oranges, du côté d’Hyères, furent belles et mûries au rouge. Dans quatre litres de vin de Cavalaire, sec, jaune, je versai un litre d’Armagnac fort honnête, et mes amis de se récrier :”Quel massacre ! Une eau-de-vie de si bon goût ! La sacrifier à un ratafia imbuvable !”. Au milieu des cris, je coupai, je noyai quatre oranges coupées en lames, un citron qui pendait le moment d’avant, au bout de sa branche, un bâton de vanille argenté comme un vieillard, six cents grammes de sucre de canne. Un bocal ventru, bouché de liège et de linge, se chargea de la macération, qui dura cinquante jours ; je n’eus plus qu’à filtrer et mettre en bouteilles. » 38,5°C

Sauternes : Château Yquem
Finissons cet article sur ce célèbre vin que Colette, à la fin de sa vie, utilisait comme “remède” pour compenser ses fréquents excès de table. Le vin était devenu médicament, après avoir accompagné toute sa vie et son inspiration artistique.


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