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Farci poitevin

Par Argoul

Cette recette régionale réunit la quintessence du pays : sa diversité d’entre-deux. Adoptée sur le « seuil du Poitou », l’idée de cuisiner des herbes vient de la Vienne, vers Civray et Confolens. C’était en effet un « plat de pauvres » confectionné avec les herbes du jardin. Il y a donc autant de « recettes » que de ménagères - et que d’herbes suivant les saisons.

Contrairement au tropisme très français de chercher une Bible, un Texte de référence ou un Programme, confectionner un farci du Poitou est tout d’empirisme. Chacun a l’initiative d’ajouter ou de retirer un quelconque ingrédient, ce qui compte étant seulement le résultat. Bel exemple de ‘libéralisme’ en acte, très concrètement pratiqué par les femmes du pays. Point « d’autorité » en la matière, mais l’usage de la méthode expérimentale – cette traduction, dans le savoir, du ‘libéralisme’ dans l’esprit.

Il est dommage que les socialistes du coin aient oublié quelque peu cette pratique féminine à ras de terre, pour lui préférer les fumées de l’autocratie idéologique ou d’Etat. Il n’est pas jusqu’à Pierre Larrouturou l’autre jour à Coulon, qui n’ait illustré ce principe ‘libéral’ justement qu’en ce qui concerne la durée du travail, c’est à chacun de voir : à chaque salarié, à chaque entreprise, à chaque branche d’activité. L’idée même des « 35 heures » n’était pas ridicule – elle a seulement été imposée d’en haut et brutalement par le Socialisme Autoritaire. Depuis, l’économiste-consultant parle quelque peu dans le désert. Même DSK juge l’idée aujourd’hui « sans intérêt ». A Aubryser l’économie, on brise l’initiative, donc toute innovation…

Contrairement à la rengaine socialiste selon laquelle ce serait “la faute au libéralisme” si la France connaît l’un des taux de chômage les plus élevés d’Europe, les analystes au fait des réalités incriminent bien plutôt le manque de libéralisme. Ou, dit autrement, comme Patrick Artus, ex-économiste de la Caisse des Dépôts devenue Natixis, la sclérose des institutions, l’excès de règlementations jamais réadaptées (voir sa déclaration au Monde ci-contre). Pour ceux qui ne savent pas penser sans étiquette, précisons que Patrick Artus pourrait être qualifié de “jacobin de gauche” et qu’il s’est classé “Royaliste” aux dernières présidentielles. Eh oui, “le libéralisme” est un bouc émissaire facile qui dispense de penser. Si nos règlementeurs et nos chercheurs avaient autant d’initiative que les cuisinières poitevines, la mondialisation ne ferait peur à personne. “Que cent fleurs s’épanouissent” était un slogan ‘libéral’ - même si Deng Xiaoping l’a mieux réalisé que l’autocrate Mao.

Revenons-en donc au farci, cette application pratique de l’initiative dans la politique culinaire.

Les femmes que j’ai pu interroger sur place, les recettes publiées sur le net que j’ai pu lire, ont toutes un point commun : le farci est une méthode, pas une liste programme. Le socialisme se trouverait bien à quitter les conseils de classe pour se ressourcer auprès du « vrai » peuple… En gros, vous prenez des herbes, vous les blanchissez, vous ajoutez du liant (farine, œufs) et des épices (lard, poivre, muscade…), puis vous en farcissez un linge. Vous mettez le tout à cuire au bouillon quelques heures. Refroidi, vous coupez en tranches que vous pouvez manger telles qu’elles, ou avec une vinaigrette ou une mayonnaise, ou bien chaudes, frites dans le beurre ou l’huile.

Des herbes principales, entrent surtout le chou (qui enrobe et fait consistance), le persil (à la saveur pointue) et l’oseille (pour ce goût citronné qui en fait tout le charme). Certaines cuisinières ajoutent des salades, du poireau, des bettes, de l’oignon, de l’ail vert, du chou-fleur, de la ciboulette, du thym… On peut même y mettre des orties, comme font les Norvégiens pour la soupe, ce qui donne du piquant. En bref, testez tout ce qui est vert et qui se mange, « le marché » conduira « l’offre et la demande » selon cette mystérieuse alchimie des désirs humains. La cuisinière opère comme le chimiste, par essais et erreurs ; elle ne progresse qu’en quittant les recettes figées du vieux grimoire…

Voici donc « ma » recette :

Pour quatre à six personnes, prenez un chou pommé, 1 kg de bettes, 3 salades, 1 bouquet de persil, 1 bouquet de ciboulette, 250 g d’oseille, 250 g d’épinards, 3 gros oignons ou 6 échalotes, 500 g de lard fumé, 200 g de mie de pain, 6 œufs, 2 cuillers à soupe de farine, du poivre noir en grains écrasés et une cuiller à thé de muscade moulue.

Épluchez le chou en coupant le trognon et en détachant les grandes feuilles qui serviront à envelopper le farci. Pour le reste, retirez les grosses nervures. Plongez le tout dans l’eau bouillante salée pour le blanchir 5 mn. Egouttez.

Blanchissez les lardons dès l’eau froide, comptez 5 mn à l’ébullition. Coupez-les en petits dés. Nettoyez les bettes, côtes et feuilles tout est bon. Pelez les oignons. Coupez les queues des épinards et de l’oseille, lavez les herbes. Ciselez le tout au couteau, ainsi que le cœur du chou blanchi. Mélangez toutes ces herbes avec les dés de lard, la mie de pain émiettée et légèrement humectée d’eau, les oeufs entiers, la farine en pluie, la muscade moulue, sel et poivre écrasé.

Tapissez alors un saladier ou une terrine avec une mousseline en la faisant largement dépasser. Recouvrez-la des feuilles de chou blanchies en les faisant se chevaucher. Versez dessus la farce. Tassez bien et rabattez les feuilles de chou sur la farce, puis la mousseline. Ficelez le tout en ballot.

Plongez le paquet dans l’eau bouillante (ou dans un court-bouillon où macèrent thym, laurier, céleri, carottes). Maintenez-le sous l’eau à la spatule les 5 premières minutes, puis couvrez et laissez cuire 3 heures à petits frémissements.

Une fois cuit, égouttez, retirez le chou de la mousseline, disposez-le sur un plat et coupez-le en tranches (terrine) ou en quartiers (petit saladier).

Testez à votre initiative et - selon la méthode ‘libérale’ - modifiez à votre goût. Aucune Inquisition religieuse, dogmatique ou morale ne viendra vous en faire reproche – au contraire ! Seul le plaisir de vos convives en mesurera pleinement le résultat.


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